Thursday, June 14, 2007

En attendant Genod, texte critique de Murielle Durand-G.

On arrive perplexe devant le titre du spectacle d’Yves-Noël Genod :

En attendant Genod,


On imagine d’emblée un truc cabotin, ou potache, ou un brin prétentieux.

En fait, c’est un :


one-man show.


Ce sous-titre sème alors le doute, et fait brutalement déraper le très sérieux titre beckettien. En somme, titre et sous-titre forment un couple aussi dépareillé que la rencontre fortuite de Godot et de Valérie Lemercier!

Et juste avant d’entrer dans la salle, en guise d’ultime scepticisme, on espère très fort que le baladin parlera d’autre chose que de lui ou du théâââââââtre pendant une heure.

Soudain, c’est la surprise – des surprises comme ça sont rares et précieuses. On se laisse lentement porter vers des profondeurs comiques inédites. Un large arc-en-ciel des humours se déploie devant nous qui conjugue la farce la plus pitre, les gestes les plus inattendus et les parodies les plus spirituelles.

Genod aime jouer Phèdre, mais la version revue et corrigée par Pierre Dac, qui produit un décalage burlesque tendu entre la sentencieuse scansion des alexandrins raciniens et le trivial contenu des vers revisités par Dac.



PHÈDRE- (A Hippolyte) N’as-tu donc rien compris de mes tendres desseins ?
T’as-t-y tâté mes cuiss’s, t’as-t-y tâté mes seins ?
Ne sens-tu pas les feux dont ma chair est troublée.

HIPPOLYTE- C’est Vénus tout entière à sa proie attachée !

PHÈDRE- Oui, pour te posséder je me sens prête à tout !
Que veux-tu que j’te fasse ? Je suis à tes genoux ...
Que n’ai-je su plus tôt que tu étais sans flamme ...

HIPPOLYTE- Certes il eût mieux valu que vous l’sussiez, madame ...

PHÈDRE- Mais je n’demand’ que ça !

HIPPOLYTE- De grâc’ relevez-vous ...

PHÈDRE- Voyons tu n’y pens’s pas, je n’peux pas fair’ ça d’bout !

HIPPOLYTE- N’insistez pas, madam’, rien ne peut m’ébranler.

PHÈDRE - Si t’aim’s pas ça non plus, j’ai plus qu’à m’débiner !



Les calembours, les parodies, les singeries s’entrechoquent dans ce long monologue autobiographique qui s’inscrit dans la lignée des spectacles de Philippe Caubère.

Genod, le comédien devenu danseur, évoque tour à tour et avec une égale désinvolture ses désespoirs avec Thomas, son psychothérapeute, ses années de formation avec Claude Régy, ses rencontres, ses vacances ou ses points de vue sur l’actualité du Monde.

Il accumule les pires banalités sur le ton badin des salons de coiffure des beaux quartiers : « Isabelle Huppert et moi, on a plusieurs points communs, …un ami, en fait». « Ma copine Stéphanie de Monaco me dit parfois… ».

C’est que Genod aime glisser vers le grotesque. Et son expérience individuelle devient collective dans l’éclat de rire. Des êtres typiques, souvent tyranniques et hystériques comme sa prof de danse, s’esquissent à grands traits sous nos yeux. Quand il évoque des gens de théâtre, il ne tombe jamais dans le discours d’initié, évitant du même coup les écueils du narcissisme.
« Bon, j’vais citer des noms. Et bien, en préambule, je voudrais dire, justement que pour les gens qui ne les connaissent pas, c’est pas grave. Enfin, j’imagine que ce n’est pas grave. On peut remplacer dans la tête les noms des gens inconnus par des noms de gens connus, et de toute façon au théâtre, on parle toujours de gens qu’on ne connaît pas. Comme Hamlet. »

Genod manie l’art de partager, inconsciemment, savamment. C’est en ce sens que son spectacle est généreux. Au sens propre ; assez noble pour ne jamais tomber dans la vulgarité, caressant d’un infini respect les personnes citées. Parce que, sourire benoît au coin, Genod donne à voir sa tendresse naturelle pour les êtres qu’il fait vivre pour nous, il nous fait rire de bon cœur.

Généreux aussi car les personnages interprétés deviennent les figures tutélaires de nos propres bonheurs, de nos propres tristesses. En ce sens, « en attendant Genod » est un spectacle séminal, qui peuple nos solitudes de compagnons d’infortune.

Mais comme il se refuse à la complaisance, Genod pavane et balaie d’un faux-pas de danse les logorrhées inutiles, futiles et vaines, inconséquentes et décousues. Et Genod l’Aérien, Yves-Ariel-Noël-sur-la-Terre, retourne à son ciel constellé d’égéries et d’amour.
« j’ai deux amours, Claud’Régy et Paris », chantait Joséphine Baker.


En affichant son goût prononcé pour le Devenir Débile Des Choses, Genod se place résolument au cœur de l’absurde - Genod, en homme à paillettes, chérit Beckett sa bonne étoile.

Le sillage beckettien laisse un désastre derrière lui. Une perte du sens, qu’on appelle « Aftermath » en anglais, « après la bataille » en français.

La voix rieuse de Genod nous vient elle aussi des grandes terres de la désolation, de l’immense vanité de toute parole, réduite à n’être plus que brève de salon.

Pire encore, Genod sape toutes les conventions théâtrales. Il mine à la source notre crédulité consentie dans le spectacle quand il désigne cette femme qui est dans la salle et s’occupe de savoir si elle va réussir à vendre le spectacle.

Passant sans ménagement de la danse au one-man show, de la parade au Confiteor, bousculant les codes de la représentation, il profite par exemple de sa position sur l’estrade pour nous faire faire … une dictée !

Ou bien encore, il modifie les codes du spectacle de théâtre en mettant, in extremis, le spectateur en face d’un autre spectacle : en guise d’épilogue, un jeune homme qui semble tout droit sorti d’un film de Pasolini rentre dans la salle et vient chanter a capella l’air très haut perché de Dave, « Vanina Vanina ». Rideau !


Ce chenapan-là n’est pas en reste d’insolences, fidèle à l’idée qu’on peut rire de tout, parce que rien n’a de sens, même pas Moi.

En effet, « En attendant Genod » est un spectacle ventriloque, pas nombriliste. L’attitude de Genod, qui évoque confusément les aléas de sa vie dissolue, rappelle la boutade de Beckett : « Je. Quoi ? ».

Une même exténuation du « Moi-je, Moi-je » est à l’œuvre chez Genod : « Yves-Noël Genod : c’est lui ».

Monsieur Genod, vous aviez raison de vous placer sous les auspices de Godot.







Murielle Durand-G
professeur, journaliste, auteur ou critique d’art.

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