Wednesday, July 23, 2008

Ne jamais contrôler

Ben t'en parles très très bien, Vautrin, t'as tout compris. Moi, je peux te donner le texte d'Olivier (à propos de Oh, pas d'femme, pas d'cri) qui lui aussi en parle très très bien. "Ne pas prendre la responsabilité de la composition", qu'il dit. Ben oui. Mais si je développe pourquoi, je vais passer pompeux. Dorénavant, c'est que les gens intelligents qui parleront de ce que je fais ! Moi aussi, j'essaie d'être le plus inconscient possible quant à ce que je produis. Ne jamais contrôler le sens. Transmettre au public, au spectateur ce qui n'est pas achevé, ce qui n'a pas (encore) de sens. (Et déjouer l'attente, chez le spectateur, par différentes techniques, prise de vitesse.) Paraît que le cerveau humain est programmé pour faire du sens, de toute façon. Tout ça, dans mon cas, vient de Duras plus encore que de Régy et Tanguy (ces deux-là pour l'artisanat) : laisser le lecteur écrire le livre, laisser le spectateur faire le spectacle à partir de la contemplation, au-delà de lui-même, de son propre monde intérieur. Je ne sais pas par quel mystère (le seul mystère du théâtre, d'ailleurs)  : que ça se fasse chez lui. Au risque d'accepter aussi la production de "monstres", de contresens complets, inversion. Rien n'ayant eu lieu, au final, que le lieu (comme l'a repéré Olivier). Me revient aussi un bout de poème que cite souvent Pierre Soulage :

Ferai un vers sur le rien :
Ne sera sur moi ni autre gens,

Ne sera sur amour ni sur jeunesse
Ni sur autre chose ;
Je l'ai trouvé en dormant

Sur mon cheval.
(...)

J'ai fait ces vers, ne sais sur quoi ;
Et les transmettrai à celui
Qui les transmettra à un autre
Là-bas vers l'Anjou,
Pour qu'il me fasse parvenir, de son étui

La contre-clé.


Guillaume IX, duc d'Aquitaine


Enfin, mais ça n'a peut-être pas de rapport ("Ici il faudrait peut-être une autre question.", comme disait Duras), je suis tombé récemment sur un extrait de biographie de Coco Chanel, belle salope raciste par ailleurs, qui aux journalistes qui lui demandaient comment serait sa nouvelle collection quand elle s'était mise à recommencer dans les années 50, répondait : "Comment voulez-vous que je le sache ? Je fais mes robes sur les mannequins." Moi aussi, je fais, littéralement, mes spectacles sur les comédiens et j'ose souvent rêver qu'il s'agit là uniquement de haute-couture ("La dernière mode" de Mallarmé). Tout ce que je raconte là, c'est banalité sur banalité, dans un certain courant de l'art en tout cas, c'est très répandu, cette manière de faire. Malheureusement pour moi, cette manière de faire qui, dans mon cas, est obligatoire parce que si ce n'est pas le cas, pour moi, ce n'est pas de l'art (isanat) est totalement et naïvement inconnue chez les fonctionnaires du ministère ou les programmateurs. Là, il ne faut au contraire que tout définir d'avance !

Le texte d'Olivier Normand :

Il produit des effets, invente des choses, mais c'est comme s'il ne voulait pas assumer la responsabilité de leur composition. En apparence, il préfère les laisser flottantes, pariant sur leur capacité propre à trouver chacune leur juste place.

On sait que les pierres ne sont jamais si belles que lorsqu'elles ne sont pas serties. Le bijou - bague, collier, rivière - leur ôte souvent cette eau qu'on ne connaît que dans le creux de la paume, à la faille des doigts (préciosité de la métaphore).

Ici les gemmes aussi sont si peu serties. À l'anneau, à l'alliage, on préfère l'écrin. Ici c'est l'écrin (bien sûr, la boîte noire) qui compose. Comme d'un coup de dé, secoué. Et de parier sur la capacité des pierres, dans l'écrin remué, à se rencontrer peut-être, et à composer par elles-mêmes, le spectacle de leurs feux secrets, et conjoints.


Bises



Yvno

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