Tuesday, December 16, 2008

La perfection dans le non-sens

Le jean bleu



Yves-Noël
(je me suis soudain souvenu que derrière la carte (qui était sur la table) où l’on voit ton portrait en couleurs avec un boa, il y avait ton adresse email)

Un petit mot pour te dire que j’ai eu beaucoup de plaisir à découvrir le travail que tu présentais mardi 2 décembre dernier à Vitry avec Bénédicte – je crois que c’est son prénom –

Je mets toujours un peu de temps à « digérer » une proposition scénique qui produit du sens (tandis qu’un pur produit de divertissement est oublié à la seconde même où le spectacle s’achève) et c’est pourquoi je ne t’écris que maintenant pour te faire part d’une question que ton travail m’a posé, à moi, regardeur/spectateur/buveur – de champagne –

Il s’agit d’un moment précis dans ce travail que tu as présenté. Le moment où la personne unique qui est en scène soulève sa jupe. Il s’agit d’une jupe, ou peut-être d’une robe… oui je crois que c’est une robe, lourde.
Une robe qui fait penser à ces robes de fin 19ème, lourdes, ornées, longues comme des rideaux.
Épaisses.

Je m’attendais, je dois le dire, à ce que le soulèvement de cette robe pesante découvre la blancheur de jambes nues, peut-être même dévoile une toison pubienne soudainement exposée au regard de tous.

Mais non. L’attente du spectateur que j'étais fut trompée.
Un jean bleu était sous la robe.
Le jean avec lequel la comédienne reprendra le RER un peu plus tard.
Irruption d’un hors-scène sur scène.
Façon de dire que l’on suit des conventions, jusqu’au moment où on ne les suit plus…
Affirmation de liberté du chorégraphe/metteur en scène.
....

Et cependant je ne suis pas sûr d’avoir bien « lu » ce moment-là.
J’ai demandé à Manou et Valérie Mréjen comment elles avaient perçu cet instant particulier, ou si elles le lisaient comme moi ; elles m’ont dit qu’elles ne savaient pas.

Ton travail m’a posé bien d’autres questions. Mais celle-là s’est formulée avec une telle acuité et une telle insistance que je me permets aujourd’hui non pas de te la poser – ce courrier n’appelle pas de réponse et il n’y a peut-être pas une réponse à privilégier en particulier – mais de te l’écrire.
L’important étant les questions, non les réponses.
Et le travail, le tien, n’étant pas là nécessairement pour apporter des réponses mais pour explorer des pistes et peut-être ouvrir d’autres voies.
Alors merci pour cette question.
Bien à toi,
Gaspard Delanoë
P.S. : à un moment donné elle enfile une perruque, une perruque blonde je crois, l’espace de quelques secondes, mais de façon très prégnante, elle m’a fait penser quasiment trait pour trait à la Lolita de Kubrick, je ne sais pas si tu as vu ce film … C’était incroyable de la retrouver là, soudain, Lolita, à Vitry…



La perfection dans le non-sens



Tu as parfaitement bien lu ce moment là. Parfaitement interprété. Les choses se font par tâtonnement, tâtonnement étonné (surtout quand je travaille avec une fille), on a essayé les jambes nues, elle a dû peut-être un jour avoir froid et avoir gardé son pantalon, ça m'a parut plus « juste », on a essayé une fois un autre jean, un noir, non, c'était la couleur bleue qui m'intéressait et le décalage, le léger bougé minijupe (dont elle vient de parler) - jean (ambiance sixties, seventies, Janis Joplin, etc.), mais ce que tu dis sur le hors-scène est plus fort. On pourrait en dire plus, toujours... On travaille le plus inconsciemment possible (volontairement inconsciemment) pour que le sens ne soit fabriqué uniquement que chez les personnes qui regardent. Je viens de lire une interview d'Harmony Korine où il dit qu'il cherche à atteindre « la perfection dans le non-sens ». Merci d'avoir pris la peine d'écrire ce retour, ça me va au cœur.
À bientôt, j'espère

Yves-Noël

Tiens, je sais pas ce que tu en penseras, voilà quelque chose qui me touche en ce moment : http://guarantyofsanity.hautetfort.com/

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