Monday, October 20, 2008

Les photos de Sophie Laly (2)































Berlin, octobre 2008, répétitions de la pièce Felix, dancing in silence.

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Franz-Anton Cramer à propos de Felix...

« (...) Ce qui me touche - et ce n'est pas par métaphore que je dis ça ! - c'est que dans un certain sens, même dans plusieurs sens, et après tout dans le sens primordial, cet enjeu a abouti. C'est peut-être un aboutissement un peu pervers ; même si je ne parle pas des pures difficultés et contrariétés qui on mis en péril ce projet et le processus de travail. Mais c'est un aboutissement qui tient compte aussi bien de la nécessité de « faire travailler » les étudiants afin qu'ils trouvent un accès - leur accès - à cette grande masse qu'est toujours la pratique artistique (toi tu parles du bonheur auquel il faut accéder, mais c'est un peu la même quête, me semble-t-il), et, d'autre part, de faire vibrer, de dilater, de contester, de comprendre, d'embrasser, et pourquoi pas aussi de baiser les limites qui entourent cette pratique qu'on dénomme « danse ».

J'ai vu les étudiants s'épanouir en s'inscrivant dans une des micro-histoires de la danse qui se fabriquent et se construisent chaque fois que quelqu'un commence à faire « de la danse ». J'ai vu une énergie se dégager, parfois timide et méfiante, parfois grandiloquente et triomphale. Mais toujours centrée sur une certaine vision du faire qui est à l'écoute d'une situation particulière et en lien étroit avec une vie intérieure indépendante des circonstances qui la font se montrer (si tu comprends ce que je veux dire...) C'est donc le moment ou il faut introduire ce grand mot que j'aime bien et qui est inutile, le mot de liberté. La liberté à laquelle la danse peut contribuer. La liberté qui est à la fois gratuite, car artistiquement délimitée, et fondamentale, parce que traitant de toute la question du subjectif, de l'individuel, du positionnement envers les autres et tout ça.

Donc une micro-histoire de la danse qui réagit à tout ce qui a déjà été et qui s'en fout en même temps. C'est par là aussi que la liberté s'exprime... »

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En savoir plus (l'expérience de Berlin)

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Un texte-bilan.






Donc, cher Franz-Anton, l’expérience s’est révélée très concluante. Le 17 octobre, jour de la deuxième et dernière représentation, les étudiants ont montré un grand calme, une concentration, une absence de panique et quelque chose qui – peut-être pour l’ensemble d’entre eux ne peut pas encore porter le nom de plaisir, mais qui en avait pourtant l’apparence. Sourire qu’elle aurait peut-être nié, même indéniable, dans le visage barbu d’An. À part la joie que cela nous a procurée à eux comme à moi, entraînant la promesse de se revoir, l’envie de continuer et donc, pour ma part, de postuler pour l’année prochaine (!), cette réussite, cette ouverture me permet maintenant de mettre à plat quelques principes que je n’ai cessé d’évoquer pendant le travail, mais dont je vois dans cet aboutissement la démonstration éclatante. Il y a le cas, par exemple, d’Anna, jouant du piano désaccordé : épouvantable le soir de la générale, à se noyer dans l’évier, exceptionnellement gracieuse, inoubliable même, le soir de la dernière. Même instrument (désaccordé donc), même personne (désaccordée sans doute aussi) et le jour et la nuit. La beauté et la laideur. Une terreur le premier soir, une confiance le dernier. Et le monde est changé du tout au tout. Anna me dit que ce qui l’a aidé, c’est quand je lui ai proposé de jouer du piano « vite et mal », reprenant le mot de Paul Claudel à Jean-Louis Barrault à l’occasion de la première mise en scène du Soulier de Satin : « Il faut jouer la pièce vite et mal. » (plutôt que lentement et intelligemment). Anna dit que ça l’a libérée (car elle essaie toujours de « bien faire »). Certes, pour chaque cas, chaque personne et aussi chaque scène, chaque moment il faut trouver la solution qui est toujours une solution empirique, intuitive, celle qui marche, celle qui débloque une difficulté – puisqu’il ne s’agit toujours que de rendre le théâtre facile, l’art abordable (sinon pourquoi le représenter en public) – mais il y a quelques principes de base sans lesquels je ne pourrais même pas envisager de faire quoi que ce soit dans ce métier. Pour réaliser quelque chose – ne parlons que du théâtre –, moteur et carburant, c’est le plaisir – surtout rien d’autre. Plaisir et ouverture des espaces du plaisir. Plaisir à un point tel que les étudiants ont du mal à l’imaginer (sauf – comme un commencement, un pressentiment – le dernier soir). Plaisir de Rudolf Noureev, de La Callas, de Pablo Picasso, même métier. La confiance. Oublier cette idée de « prise de risques » et même toute idée d’une quelconque « confrontation » à une « difficulté ». « Ne faites que ce que vous savez faire », demandé-je toujours aux acteurs et, ainsi, c’est ce que j’ai demandé aux étudiants qui au début ont prétendu pour la plupart qu’ils ne savaient rien faire – ce qui n’est pas vrai. Ça ne marche pas comme ça. David Lynch ne dit pas autre chose. Il dit dans son livre Catching The Big Fish :
« I hear stories about directors who scream at actors, or they trick them somehow to get a performance. And there are some people who try to run the whole business on fear. But I think this is such a joke – it’s pathetic and stupid at the same time.
When people are in fear, they don’t want to go to work. So many people today have that feeling. Then the fear starts turning into hate, and they begin to hate going to work. Then the hate can turn into anger and people can become angry at their boss and their work.
If I ran myself with fear, I would get 1 percent, not 100 percent, of what I get. And they would be no fun in going down the road together. And it should be fun. In work and in life, we’re all supposed to get along. We supposed to have so much fun, like puppy dogs with our tails wagging. It’s supposed to be great living ; it’supposed to be fantastic. »
Voilà ce que je voulais dire moi aussi, et ce que je voudrais que tu transmettes encore aux étudiants (peux-tu traduire ces quelques phrases ?)
Je connais mon métier, je sais comme Klaus Michael Grüber, l’immense poète, que « les acteurs sont capables de choses magnifiques, seulement ils ont tellement peur ; tout le travail consiste à calmer leur peur. » Tout le travail. Pour un director. Je sais. Pas d’autre travail. On ne dirige pas les acteurs, ça ne sert à rien, on les calme, c’est tout. On leur propose un environnement de bonheur, une féerie. D’où l’importance de ce lieu calme qu’on nomme un théâtre – même si c’est un hangar rempli d’eau – ce que, dans ce cas, ne comprennent pas facilement, nous l’avons vu, les gens extérieurs à cette transformation pour nous radicale d’un lieu de non théâtre en « théâtre » –. Calmer la peur des acteurs, a fortiori des étudiants, pour qu’ils puissent juste « agir » (le mot l’indique) pour invoquer la beauté, pour qu’elle soit peut-être aussi encore invoquée (et dans le même moment) par les spectateurs (peut-être sans qu’ils s’en rendent compte) puisque le spectacle bâtit sa scène à l’intérieur même de ceux qui le perçoivent. Franz Kafka : « C’est ça l’essence de la magie qui ne crée pas, mais invoque. » Quand le plaisir se met de la partie, les perspectives de « vrai » travail et d’approfondissement deviennent soudain fabuleuses comme un texte d’Arthur Rimbaud. Tout s’ouvre comme la poésie. Tout est neuf et partagé. Parfois, ce plaisir n’est pas entièrement partagé par le public, en France, particulièrement – et dans les milieux que je fréquente. Des gens vont au théâtre pour des raisons parfois fort éloignées de l’idée de plaisir. Les acteurs peuvent alors souffrir de voir leur espace entamé par cette résistance ou de l’absurdité de cette situation de devoir partager quelque chose avec quelqu’un qui n’en veut pas ou qui est loin de pouvoir l’accepter. C’est un paradoxe amoureux dont joue très bien par exemple quelqu’un comme Claude Régy qui a besoin de la confrontation, qui l’aime et la désire. Pour Felix, dancing in silence, cela ne s’est pas produit à Berlin où nous avons eu la chance de deux très belles salles. Le deuxième soir, surtout, public plus disponible à la surprise, plus favorable, jeune. Les étudiants ont montrés qu’ils savaient saisir et profiter de ces circonstances pour exister. Une étape supplémentaire serait de comprendre comment – en un sens – les circonstances sont toujours favorables. Et que l’on peut toujours se baigner en confiance dans l’air, dans l’espace, relié à l’humanité vivante. Cela n’est rien d’autre que la réalité. C’est ce sur quoi nous travaillerons si nous nous revoyons un jour et c’est ce qui, ce soir-là, nous a donné l’impression que le travail pouvait enfin vraiment commencer – après un incroyablement lent début (sauf pour Felix) qui m’avait fait croire à un ou deux moments que nous n’arriverions jamais à comprendre que plutôt que de lenteur et de « forme », et de résistance, il s’agissait de vitesse et d’informel, c’est à dire d’amour, et cette perspective, vue comme depuis l’amphithéâtre grec de la nature et du soleil, nous ouvrent aujourd’hui ses champs Élysées…
Quant à toi, Franz-Anton, j’avais envie de te dire que peut-être que nous avons pensé à un moment toi et moi que tu manquais des qualités nécessaires pour être le producteur exemplaire de ce spectacle, mais producteur « de cœur », tu l’as été pleinement – et n’est-ce pas l’essentiel ?






Yves-Noël Genod, 19 octobre 2008.

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Berlin, octobre 2008, répétitions de la pièce Felix, dancing in silence.

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