Saturday, December 26, 2009

Time capsule

Je commence à lire un livre avec des cerises sur la couverture. Un livre de Michel Serres que m'a offert mon frère intitulé : Temps des Crises. Il l'a choisi court et écrit gros. En ces périodes d'Internet, ma difficulté à lire est pathologique. Mon frère me comprend bien. Dans le train, une enfant dessinait un arbre et puis, dans l'arbre, elle disait : "Maintenant je dessine la queue des cerises." (en marron). Puis elle regardait, la tête un peu en arrière comme font les peintres pour se rendre compte de l'effet, de l'espacement des queues de cerises. Puis elle s'apprêtait à rajouter les cerises... A moins qu'autre chose ne la distrait. Très vite, des formules frappent : "l'actualité des chiffres et des émotions", "les pauvres au secours des riches"... Pierre a une fille, j'ai des neveux. J'ai un filleul aussi. J'ai mes parents. Je n'ai plus mes grands-parents. Je n'ai plus ma sœur, Pierre n'a plus sa mère. Pierre a le Nord, j'ai la montagne, nous avons Marseille, j'ai vu Le Caire, Berlin, Singapour, nous avons Arles, nous avons l'Italie, nous avons Remoulins, Paris, nous avons la France. Tout ça fuit, poudreux, entre les doigts, comme la neige, Thomas Bernhard dit que l'amour ne peut se décrire, oui, tout le monde le sait, l'amour, on l'a ou on l'a pas, on le rêve aussi. De temps en temps, dans ma lecture des phrases intelligentes et imagées de Michel Serres et dans le silence si noir, si froid, si doux de la maison du lotissement près de la forêt, j'entends Solal, à côté, se plaindre dans un rêve ou un cauchemar d'un événement très précis... La crise. Le corps prend une décision : passé cette limite, ou il meurt, ou il emprunte un tout autre chemin... Anaé, Solal dorment et dorment. Pierre, l'autre nuit, dort comme un enfant. Finalement, j'aime autant ne pas dormir quand les autres dorment, c'est trop mignon. C'est l'espoir, ça, le sommeil, pour l'humanité, c'est là que la nature rejoint et la terre et les animaux et la prouesse, le futur... J'ai lu une histoire à Anaé. Aujourd'hui, Anaé profite de moi. Elle est pas bête : on se voit si peu. Alors elle a exigé d'être assise à côté de moi ce soir à table (on a donc changé l'ordre du midi). J'ai essayé de tenir mon rang. C'est à dire de la considérer comme une personne. (Ce qu'elle est, ce n'est pas difficile.) Et elle m'a demandé bien aimablement si, exceptionnellement, j'accepterais de lui lire une histoire avant qu'elle s'endorme. Elle m'a dit : "Normalement, c'est une fois maman et une fois papa et une fois maman..." Sa mère dit qu'en effet, elle tient le "cahier des comptes". Je lui ai lu une histoire incroyable où nous avons suivi un petit Indien d'Amérique, aveugle, tête surmontée d'un raton laveur, guidé par l'Esprit de l'Ours et par une pipe qui doit se réchauffer quand on s'approche du but, jusqu'au Sommet du Monde qui finalement n'est pas un sommet, mais rien moins que l'un des pôles de la terre où il retrouve la vue pour voir, pour la première fois, lui et nous, le renouveau illuminer le monde. Plus tôt, dans le monde merveilleux de Walt Disney, dans un extrait chanté de La Belle au Bois dormant, je songeais aux animaux du monde : Quel monde donnons-nous à nos enfants (ou à ceux de nos frères) s'il n'y a bientôt plus que des animaux de dessins animés, des peluches, et jusqu'à quand ces avatars auront-ils un intérêt s'ils apparaisent déconnectés de toute vie réelle ? Dans la suite du conte de Perrault, un cuisinier remplace la viande de la Belle et de ses deux enfants, Aurore et Jour, que la mère du Prince qui est ogresse avait commandé pour son repas, par celles d'une biche, d'un agneau et d'un chevreau. Oui, ces animaux existent encore... Et mes neveux dorment à côté dans l'espoir du monde... J'ai vu, en allant pisser, que leurs parents avaient laissé le palier éclairé et les deux portes des chambres ouvertes... Je reprends ma lecture. La crise lance le corps ou vers la mort ou vers une nouveauté qu'elle le force à inventer. Michel Serres ajoute : "Voici l'un des secrets magnifiques de la vie."

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