Sunday, January 11, 2009

Belle de nuit

« La littérature est ce qu’il reste après que l’essentiel – toujours inaccessible par les mots – a dit son fait. »

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Anecdotes injurieuses sur des gens célèbres

La misère inclut la sphère. La lecture intense. L’oubli de Pierre. Comme un sac, un sac de Pierre, et, dedans, il y a Pierre.

Lait de l’excellence. Il appelait l’oubli de ses vœux répétés. Pierre apparaîtra partout. Et, moi, j’écris pour la postérité.

« Ce héros dont la valeur n’a d’égale que le courage », avait écrit, pour une dédicace à Claude Régy, Nathalie Sarraute. Claude me l’avait montrée.

Pierre m’a serré dans les bras et ça vaut tout ce que m’a dit Pierre – ou écrit. Pierre est un phénomène d’incarnation.

Il a ses voix, il a son trajet dans le métro. Il va chercher ses cigarettes dans le bar-tabac-restaurant tenu par les deux Charlus où je vais parfois après une séance chez mon psy.

Pierre m’a dit : « Je pense qu’ils sont de la famille, oui. » Fines moustaches.

Paloma est gentille, elle est souvent « bonne fille ». Elle m’aime et elle sait que je l’aime. Parfois, elle ne panique pas face à ce qu’il faut bien reconnaître comme un amour absolu et qui parfois me fait peur.

Ma première amie, quand elle a commencé à me tromper, ne pouvait pas le cacher. Elle rougissait, se mélangeait. Il suffisait de poser les questions pour avoir les réponses.

Ce n’est pas un amour, c’est une amitié. Que je partage avec Hélèna.

À Dieppe, moi aussi, j’ai failli vivre avec l’intensité de Dieppe. La mer phénoménale, déchaînée en plein soleil. Le livre est plus intéressant et pourtant détaché.

Personne ne m’appelle. Les falaises de Dieppe sont combien de fois hautes comme lui ?

Les huîtres, au ras de terre, sur la plage, font pleurer. C’est minuit, c’est midi.

Les escargots, sur le port, sont phosphorescents. Le « bateau Charly » est en plein centre de la ville. Il part en pleine nuit, le brouillard tout allumé, tout illuminé. La pleine mer est noire.

Olivier vomit sur le bateau, Olivier en Angleterre, Olivier avec cette casquette qui lui protège les oreilles, Olivier jeune homme, Olivier sur la plage, Olivier sait conduire et on lui prête une voiture. Olivier sait prendre du plaisir, enfin, ça lui arrive, déjà. Olivier disponible, Olivier attend. Puis Olivier bien sûr est ailleurs. Il est là où il était. On ne peut pas le lui reprocher.

Il est à Dieppe, il est un jeune homme. Il est cultivé, original, émancipé… Dieppe est mortelle comme une plage invisible, comme un rocher noir. Comme une sucrerie de casino…

Comme une vieille dame, comme une rue de centre-ville. Comme le temps qui change.

Une longue métaphore de l’insomnie. « Ma mémoire, monsieur, est comme un tas d’ordure. »

Quand j’ai repéré/constaté/comparé que lui que j’aimais n’était pas Dieu, j’ai eu mal.

Quand j’ai constaté/repéré/comparé que lui que j’aimais n’était pas Dieu, j’ai eu mal.

Quand j’ai comparé/répété/remarqué que lui que j’aimais – et elle que j’aimais – n’était pas Dieu, j’ai eu mal – car elle allait mourir, elle allait vivre et elle allait mourir – elle.

À la fin de sa vie, Marguerite Duras rayait beaucoup de ce qu’elle écrivait. Elle anéantissait parfois les plus belles phrases et, quand on osait intervenir, elle disait : « C’est du Duras ! » « Ça fait Duras ! »

Il y avait le cinéma aussi, les images. Et la musique aussi, les disques. Et la jeunesse, la jeunesse à part pour regarder la jeunesse. Quand un garçon regarde une fille, l’effet n’est pas le même. Non. L’effet n’est pas le même, à ma connaissance. Bien qu’au fond, ça ne résiste pas. Mais l’histoire n’est pas la même, l’histoire de Dieppe. Je suis à Dieppe, je suis amoureux, mais d’un garçon. « Nobody’s perfect. », répond Sabine Macher… Et seul. Seul en éclat. Le peu de ce qui va se dire ne pourra que se dire long et large. Long et large.

Nebelglanz*. Une larme roulait sur sa joue. Nul objet, tout le monde peut concevoir.

J’ai tout dit. Maintenant, les voyages. Humour et ingéniosité.






* L’éclat du brouillard. Le scintillement du brouillard.

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Le genre Molokino


Hélèna Villovitch, Agathe Gris, David TV et Cécile Bortoletti.

Nouveau roman

La vie est une onde, la mort est une ombre






Être un ours, l’illusion suprême, le tombé de l’incarnation. Mention Très bien. Je ne peux lui parler de rien. « Vivre à ta manière ». Dieppe. Le raconté, le tombé (le drapé). Beckett – que je lis, disponible (ou plutôt, mais c’est pareil, dont je m’étonne de la disponibilité, de l’excellence), avec juste ce pincement de méfiance au cœur, cette crainte-joie d’y voir apparaître… mon nom. (Sur la « justesse »…) Et il y a le mot « ciel », il y a le mot « amour », il y a le mot « poussière », il y a mon nom. J’ai reconnu le Y. Les yeux n’ont pas lu, mais peuvent y revenir. (Les yeux aveugles et sourds.) Borges parlait d’un don de Dieu. Un don de Dieu est l’incarnation. Aveugle, sourde, inadéquate. Comme un trou dans le monde. Dans le monde du pantalon. Le Nuage en pantalon. Retour au religieux.

En rentrant, le taxi me dépose rue Doudeauville, mais, ce que je pressentais comme possible, devant la porte de Paloma, il n’y a plus la clé. Elle a essayé de m’appeler, elle a dû se réveiller, elle a dû avoir peur de laisser la clé sur le palier, elle a fermé sa porte, elle dort. Je ressors comme un homme. Un vieil homme, Beckett sans son amour. Et, comme un automate, je rentre sur mon chemin. Qu’on ne peut que décrire. Mais pas même lire. Parce qu’on lit les autres. Heureusement. Avec Hélèna, je lisais, de Beckett, Premier amour… Dans le train. Brûler son amour par la mort. Et, aujourd’hui, « le soleil brûle sans chaleur » est la première image qui me vient de ce temps. Et la Renaissance… La première, etc.






Je venais d’en écouter un passage… je regardais les espaliers en fleurs le long du petit mur de briques roses, les arbres fleuris, la pelouse d’un vert étincelant jonchée de pâquerettes, de pétales blancs et roses, le ciel, bien sûr, était bleu, et l’air semblait vibrer légèrement… et à ce moment-là, c’est venu… quelque chose d’unique… qui ne reviendra plus jamais de cette façon, une sensation d’une telle violence qu’encore maintenant, après tant de temps écoulé, quand, amoindrie, en partie effacée elle me revient, j’éprouve… mais quoi ? quel mot peut s’en saisir ? pas le mot à tout dire : « bonheur », qui se présente le premier, non, pas lui… « félicité », « exaltation », sont trop laids, qu’ils n’y touchent pas… et « extase »… comme devant ce mot ce qui est là se rétracte… « Joie », oui, peut-être… ce petit mot modeste, tout simple, peut effleurer sans grand danger… mais il n’est pas capable de recueillir ce qui m’emplit, me déborde, s’épand, va se perdre, se fondre dans les briques roses, les espaliers en fleurs, la pelouse, les pétales roses et blancs, l’air qui vibre parcouru de tremblements à peine perceptibles, d’ondes… des ondes de vie, de vie tout court, quel autre mot ?… de vie à l’état pur, aucune menace sur elle, aucun mélange, elle atteint tout à coup l’intensité la plus grande qu’elle puisse jamais atteindre… jamais plus cette sorte d’intensité-là, pour rien, parce que c’est là, parce que je suis dans cela, dans le petit mur rose, les fleurs des espaliers, des arbres, la pelouse, l’air qui vibre… je suis en eux sans rien de plus, rien qui ne soit à eux, rien à moi.






Pierre fait remarquer le nom de la rue où nous passons : rue de la Perle. Je pense – comme avec un écrivain (comme avec Marguerite Duras) : Ce s’ra dans un livre bientôt. (Je repense à « rue des Vertus ».) Je ne sais pas si ça vous l’fait, la densité visuelle n’est pas la même, de l’extrait (dont nous avions parlé hier) de Nathalie Sarraute avec le reste de mon texte. Moins de majuscules (de points donc de majuscules), de parenthèses, etc. Je repense à une anecdote. Allons-y. Claude Régy, dans les années soixante-dix, avait organisé, au théâtre du Rond Point (dans la gare d’Orsay, à l’époque), une soirée Duras/Sarraute (puisqu’il montait Nathalie Sarraute pendant que Jean-Louis Barrault donnait Des journées entières dans les arbres) dont le clou devait être, à un moment, Nathalie Sarraute lisant un extrait de l’œuvre de Marguerite Duras et Marguerite Duras lui rendant la politesse. C’était convenu. Nathalie Sarraute s’exécute et, à son tour, Marguerite Duras (si vous voulez, la Christine Angot de l’époque) dit : « Moi, je n’peux pas lire ça ! Tous ces p’tits mots gris... » Nathalie Sarraute en a voulu pendant des années à Claude Régy...

Beckett parle aussi de l’onde de vie, mais sur un fond plus noir, mais c’est pareil, rose ou noir (comme le marketing des cigarettes Black Devil qui plaisent à Pierre a pu le suggérer aussi). (Après vérification… J’avais compris que c’était la même cigarette qui existait en noir ou en rose, mais le nom change, Black Devil (que Pierre transforme en Blaque des Villes) et Pink Elephant – mais je conseille d’arrêter de fumer, pas… parce que je suis devenu allergique !)

En rentrant chez Paloma Picasso, je jette mon manteau, écharpe… sur le canapé. « Comme disait Danos, « tu veux t’asseoir sur le portemanteau ? » » (Jeu du macho et de la souris.)

Une chanson (de Brigitte Bardot ?) : …mais oscille la mer est calme… Je fais comme Clélie : entendre les vrais mots, par soi inventés.

La musique chargée diffuse et l’encre bleue bave dans le carnet.

Je suis au soleil, t’es vivant
Je suis en pleine rue, t’es vivant
Dieu, l’amour de Dieu
Avoir la sensation de choses dont on a peu la sensation : la conscience, les images…
Trains, rails, neige
Gris bleu soleil
Peinture métallisée
La neige du vent
La neige du ciel
Les vastes espaces
Le si long temps des sensations

Chute en montant l’escalier de chez Paloma.
Chute en courant de Pierre.






Dieppe

encore le dernier reflux

le galet mort

le demi-tour puis les pas

vers les vieilles lumières






je suis ce cours de sable qui glisse

entre le galet et la dune

la pluie d’été pleut sur ma vie
sur moi ma vie
qui me fuit me poursuit

et finira le jour de son commencement

cher instant je te vois
dans ce rideau de brume qui recule

où je n’aurai plus à fouler ces longs seuils mouvants

et vivrai le temps d’une porte

qui s’ouvre et se referme






que ferais-je sans ce monde sans visage sans questions

où être ne dure qu’un instant où chaque instant

verse dans le vide dans l’oubli d’avoir été

sans cette onde où à la fin

corps et ombre ensemble s’engloutissent

que ferais-je sans ce silence gouffre des murmures

haletant furieux vers le secours vers l’amour

sans ce ciel qui s’élève

sur la poussière de ses lests

que ferais-je je ferais comme hier comme aujourd’hui

regardant par mon hublot si je ne suis pas seul

à errer et à virer loin de toute vie

dans un espace pantin

sans voix parmi les voix

enfermées avec moi






je voudrais que mon amour meure

qu’il pleuve sur le cimetière

et les ruelles où je vais

pleurant celle qui crut m’aimer






Samuel Beckett, Poèmes, Éditions de Minuit.






Encore une fois, je suis navré, je suis désolé, de vous donner à lire quelques-uns des plus beaux poèmes de la terre, ça fait pleurer, je sais, comme aussi les images, si on les regarde, de « Paris-Match », « Le poids des mots, le choc des photos ».
Mais déjà Hélèna demande vie. Il faut sortir, c’est elle qui veut la vie. Au café, je lui lis l’histoire de Pierre avec Renato, elle est émue. En lisant les phrases de Pierre que j’ai notées la veille, je suis étonné à quel point elles sont écrites par Marguerite Duras (je m’en étais rendu compte, mais pas à ce point). Encore une fois je suis placé dans la justice, la justesse – et peu importe ce que je lirai, vivrai – le diapason, par « Pierre »… (« On le nomme, parce que c’est pratique, mais à tous les noms dont on le chargerait, il répondrait. »)
Hélèna m’a donné à lire une nouvelle où apparaît une jument baie qu’elle appelle tantôt Belle de nuit, tantôt Belle de jour. Je lui demandai si c’était voulu. Elle me répondit qu’il fallait bien qu’elle laisse des choses pour la correctrice « qui sinon n’aurait pas de travail » (Paloma est très dans l’« artisanat ».) Je décide pour mon compte d’adopter ce procédé : ce sera donc parfois Paloma, parfois Hélèna et peut-être même parfois d’autres filles. Les fleurs de jour, les fleurs de nuit.
Dialogue :

« Si tu veux redevenir pédé, ça fait rien, on pourrait être amis. »
« Je veux pas redevenir pédé, je veux devenir plus hétéro. Je veux rencontrer une femme qui ne soit pas lesbienne. »
« Je ne suis pas lesbienne, j’ai embrassé une seule fois une fille sur la bouche et, l’autre soir, j’ai touché les fesses de Manou Farine à travers ses vêtements. »

Et puis la phrase du jour, la phrase clichée : « Tu sais, je ne crois pas qu’on doive tout filmer, tout écrire. On doit aussi vivre pour vivre. »






Vivre en porte-à-faux, un balcon sur la mort, un balcon sur le scandale… Caché dans l’bonheur. (Sur le modèle de la phrase de Marguerite Duras : « Je les vois tous les deux blottis dans l’malheur dans leur chambre du Carlton. » dont je raconterai l’anecdote... une autre fois.)






Il y a un mouvement de plus en plus de disparition, le mouvement d’approfondissement. Je le ressens comme ça. Le jeu de chat avec la souris avec la sensation de vie manquante.

« J’aime bien quand tu parles, mais j’aime mieux quand tu baises. »






Sténo de l’histoire de Pierre et Renato (C'est mon histoire)

(Racontée par Pierre, avec un début de transposition en vue du projet d’une parution dans un grand magazine féminin – changement d’un sexe et des noms : Virginie et Luca –.)






Il a dix-sept ans et, elle, trente ans.
Elle quitte son mari pour lui – alors qu’y avait rien eu physiquement.
Ils se sont écrits cinq cents mails au mois de juillet.
Elle coachait ses élèves pour les révisions et, le jour de son oral, lui – a envoyé un mail où il décrivait son état psychologique (« Je vis, je meurs », Louise Labé) et c’est à ce moment-là qu’il y a un choc violent et qu’elle se dit : y a pas seulement un élève, y a tout un monde qui s’ouvre.
…Bref, pendant ce temps-là, elle fait passer des oraux ailleurs. Tous les matins, pendant la demi-heure de préparation du candidat, elle écrit des poèmes.

Ils se posent des questions sur la nature de leur relation.

Il était beau, il était brillant, c’était un élève.
Y avait quand même une fois où elle l’avait emmené (avec tous les autres évidemment)… où, au moment du sandwich, une collègue lui avait dit : « Luca, il t’admire beaucoup intellectuellement ». Y avait eu un moment de gêne. (Je faisais la visite guidée au Louvre, en fait.)

Plein de mails tous les jours et la nuit aussi, livres, musique, opéra, sublimation.

Ils se sont vus une seule fois au mois de juillet, ils sont allés à la bibliothèque, ils n’ont pas vu le temps passer.

Il décrit son état d’ennui profond dans ses mails. Personne ne l’intéresse. Et, un jour, il part en vacances en Espagne et lui pose la question : « Comment on va faire ? On va plus pouvoir communiquer tous les jours ? »

Et elle, elle pète les plombs, elle tient pas l’coup. Il lui arrive quelque chose qu’elle attendait pas – et, un jour, son mari lui demande si elle avait quelqu’un d’autre – et elle dit oui tout de suite – et elle se barre.

Ils discutent une heure, mais, bon, entièrement résolu.

« Virginie, t’existes plus depuis une semaine, j’te reconnais plus, t’as rencontré quelqu’un ? » « – Oui ». (Et même, j’attendais qu’il me le demande.)

Elle part en Normandie, à Dieppe. (Elle dort dans la voiture, c’est l’ascèse la plus totale. Et prendre la douche le matin sur la plage.) Donc elle continue d’écrire et, là, elle dit les choses clairement : elle dit qu’elle est complètement folle de lui, qu’elle est amoureuse… Toutes ces choses qui étaient dans le non-dit. – Sachant qu’il pourra pas lire les mails puisqu’il est en vacances – une quinzaine de mails – sachant qu’il va découvrir tout ça en revenant de vacances.

Quand il revient de vacances, il les trouve et renvoie un mail sec tout en disant : « Non, je n’en suis pas là. »

Chacun de leur côté, ils effacent tous les mails qu’ils se sont envoyés en juillet, les cinq cents mails.
Et elle quitte son mari.

Ça tombe bien car elle a une mutation (dans un autre lycée) : elle le verra plus. Même avant l’été… C’est pour ça aussi qu’elle s’est permise de développer.

Silence pendant quelques mois.

Puis après, ça reprend, par les mails. En fait, elle le prépare au bac par les mails intellectuels, lui fait obtenir sa mention Très bien au bac et sa préparation à Sciences Po (qui, pour les élèves de ZEP, éducation prioritaire, se prépare avant le bac.)

Il veut la voir au mois de mai, avant le bac. Et il lui dit qu’il arrive avec un an de retard.

Ce week-end-là, ce salaud l’embrasse sur la Grand-Place de Lille.

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