Thursday, January 22, 2009

Comment travaille Thomas

Je vais dire une chose, n’importe quoi. (Je veux dire : je pourrais en dire tant, donc je dis un bout d’chose, un peu n’importe quoi, au hasard comme : « Je suis étonné avec Pierre de la vitesse avec laquelle je m’adapte. » (Pour moi, ça n’a pas de sens, je prends un bout, c’est tout.) Et il va relever un mot à peine dit, déjà oublié, « s’adapter », l’effet caméléon, etc. Pour finir évidemment par soulever des montagnes (qui me paraissent telles, mais qui n’en sont peut-être pas).



On rigole bien avec Thomas. Ce matin, il me demande : « Alors, comment vis-tu ce qu’il t’arrive en ce moment ? – Je suis amoureux. » Puis, de manière penaude, je balbutie something d'où, comme alité, à partir d’un immense effort, j’arrive néanmoins à lui faire parvenir peut-être le mot « garçon » (je ne sais pas si c'est par le son ou le regard). (Léger temps.) « – Eh bien, on va dire que c’est d'la faute d’Hélèna ! (Rire.) – Voilà ! – dis-je à mon tour – C'est vrai que, là, on peut... dire que c’est d'la faute d’Hélèna ! » (Hurlement de rire.) Le sketch se continue ensuite, excellent, mais je ne l’ai malheureusement pas noté.



Le gris de tout. Le gris du ciment, de la matière grise...



Thomas me demande comment je la vois la femme – je ne sais plus comment je l’appelle avec lui, disons, « la femme d’un autre type ». Je ne sais pas, j’hésite (je sens le piège), il répète : « Comment tu la vois ? » Ou : « Comment tu la voudrais ? », plutôt. Eh bien, je dis : « Serviable. – Non, ça, c’est intellectuel. – Oh, ben, flûte, en plus, c’est toi qui l’as dit ! (La dernière fois : « serviable », « pas servante », « pas asservie ».) Il n’aime pas du tout que je lui ressorte des choses qu’il a dites. Non, une fois que c’est dit, c’est mort. L’exemple le plus fort, c’est celui-ci :



Un jour, il y a très longtemps, Thomas me dit sur son palier (il me souffle, comme une dernière intuition, en me raccompagnant) : « Tu devrais manipuler les gens. » Et, comme je me récrie : « Oui, parce que, quand on manipule, on est obligé d’être chez l’autre. » De ce paradoxe, j’ai fait une quinzaine de spectacles, donné plusieurs stages, chaque fois répandant la bonne nouvelle, encourageant les acteurs à « manipuler le public »… C’était la pierre angulaire de ma sagesse. Une de celles, en tout cas, grâce auxquelles je pouvais faire mon petit effet, montrer ma « liberté de penser »... Un jour, qui me semble récent, je reparle de ça à Thomas. Scandale. « J’ai jamais dit ça, je n’ai jamais pu dire ça, la manipulation, c’est affreux, etc. » Un pan de ma carrière s’écroule. Un rideau s'ouvre à nouveau, la forêt, la clairière... Le cœur a ses raisons.



Cette nuit, il y a eu un rêve. J’étais au bord de la mer avec Pierre et, l’eau, elle bougeait comme un sourire. Elle était si vivante et translucide, complètement transparente et complètement amicale comme la matérialisation de l’air. Je la regardais un peu en hauteur (en plongée) comme d’une dune, je la voyais bien, elle bougeait, vibrant dans tous les sens comme un corps, beau corps sensuel et transparent.



Thomas essaie de me rebrancher sur les Italiennes (la sensualité), mais je lui dis : « Elles sont volcaniques, les Italiennes ! – Ah ? Oui, oui, oui, oui, oui… Elles sont machos, aussi, à la maison, etc. » Il est comme ça, Thomas, il veut tellement pas dire deux fois la même chose… Il y a une semaine, il me conseillait la « serviable », maintenant la « macho » (à la maison) ne lui paraît pas rédhibitoire (si elle est sensuelle au lit)…

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Dans le petit théâtre des Charlus

J’ai envie d’(oser) (tenter) une métaphore : à la place d’« amour », dire « guerre ». Je dirai donc que je vis en ce moment sous le signe de la guerre permanente.



Le portrait-robot de la femme d’un type nouveau que je cherche évolue. L’autre jour, le mot qui était ressorti de l’échange avec Gaspard Delanoë, c’était le mot « diaphane ». (Citation.*) Aujourd’hui, l’absente que je vois marcher dans les rues grises, pluvieuses, de Paris, rue de Grenelle, rue de Bourgogne… est « sensuelle ». Comme j’aime bien les mots et que je regrettais de me détacher de celui-là, « diaphane », j’ai demandé (je demande) à mon psy (Thomas) si elle pouvait être sensuelle et diaphane, diaphane et sensuelle. Non. Ça ne va pas ensemble. Sensuelle et diaphane, ça ne va pas ensemble. Diaphane, c’est David Hamilton, éthérée. Sensuelle, c’est, il m’a conseillé, cette Italienne très belle qui apparaît dans le dernier quart d’heure de Nos plus belles années (si quelqu’un a le dvd et voudrait bien me l’envoyer.)



Ce matin, heureux, rêveur, chez les Charlus. Le petit théâtre des Charlus, l’odeur rance que j’imagine très bien, La Cage aux folles avec l’odeur province. C’est tellement fabuleux, un café, quand il pleut dehors, il pleut la tempête. (Citation l’amour.**) Il y a des gens très différents dehors, tous recouverts, qui passent sous la pluie, vont et viennent, traversent le carrefour, apparaissent et disparaissent en ayant exprimé tout, comme fait Lou Castel dans la pièce de Claude Schmitz. Tout, c’est facile, tout, quelques pas, quelques mètres, des p’tits rôles, en un sens…

Quelqu’un rentre : « – Quel temps de merde ! – T’as r’marqué aussi ? » (Samuel Beckett.)

…Les p’tits rôles sont plus facile à jouer dans la vie qu’au théâtre car, dans la vie, ils ne sont pas p’tits – comment faire ça au théâtre ? Peter Handke avait essayé – faudrait que je lise cette pièce – avec L’heure où nous ne savions rien l’un de l’autre, la pièce qu’il a écrite durant les mois précédents la naissance de sa fille.



Hier, dans la nuit, j’ai vu Pierre nu dans le lit avec la bougie derrière lui et la pierre orange qui l’éclairait par devant : c’était très beau. Je regardais longtemps, il était un peu gêné, il changeait de position, je regardais longtemps parce que je me demandais comment faire ça au théâtre – et je me rendais bien compte qu’il s’agissait ici plus que jamais de la perception, comment rendre les spectateurs dans l’état de percevoir des beautés si intimes ? À mon sens, une seule personne y arrive (mais une personne y arrive) : Antonija Livingstone, cette fille d’intelligence et de poésie extrême. Et puis, non, j’ai vu un spectacle de danse, ce soir, et ils y arrivaient, par moment, les filles étaient très belles, faut dire, c’était sur le sommeil… Les filles : extrêmement belles, encore plus belles que Pierre, c’est dire… (Le spectacle de Marion Lévy, à Chaillot.)



Il faudrait que je demande à Thomas, la sensualité, ça dépend aussi des circonstances ? Comment créer la sensualité, les circonstances ? J’ai vu ma sœur sensuelle sur les plages du Pays de Galles, j’ai vu Hélèna sensuelle dans le jardin de la maison de Lacan. Avec Anne, c’était toujours sensuel, avec Pierre, ça le sera toujours. J’ai demandé à Pierre ce matin s’il n’était pas trop ennuyé par les conditions d’inconfort que je lui proposais (la douche sur les chiottes…) (s’il s’en sortait sans trop souffrir). Il m’a dit que ça allait très bien, qu’il était « tout terrain ». (Ensuite il m’a dit que les toilettes chez lui (ses parents) avaient longtemps été à l’extérieur et qu’il partageait sa chambre avec ses deux frères jusqu’à ses dix-huit ans.)



Chez Thomas, je suis allongé, nu (en slip), sur une table-lit avec variateur de position et il y a toujours un arrangement pour se mettre dans la meilleure position, dans le creux. Pour moi, ça va toujours, n’importe comment, mais Thomas insiste : « Non, non, c’est pas égal, c’est pour toi (Sens : c’est toi qui sait.)… Souffre d’être soutenu… » Et il ajoute : « Comme on dit dans Molière. »



Pris trois cafés chez les Charlus pour faire durer le temps, le temps creux, plein de toi et plein de vie, le merveilleux temps pourri. Je vois passer une camionnette : « Services mondiaux. Synchronisation du monde des affaires. » Je note : « Café crème » comme titre possible. « Café crème ou la retraite amoureuse ». « Réajustement du portrait-robot ». Puis je repense à l’histoire de la pluie d’or. Il y avait deux versions du récit de la première venue de Pierre chez moi. Première version, il n’y avait que donjon et vinaigrette et, dans une deuxième version, pluie d’or et papier aux vitres. Nous en reparlons un soir ou un matin et je dis, la deuxième version, tu l’as rendue plus précieuse. Il me dit : « C’est pas ça, la pluie d’or, c’est Zeus qui s’est transformé en pluie d’or pour ensemencer Danaé que son père avait enfermée dans un donjon pour la rendre hors d’atteinte (et qu’elle n’enfante pas celui qui allait le détruire). »



Puis je repense à Thomas et je lui dit (en pensée) qu’on aurait pu être amant « si tu n’avais pas essayé, mais comme t’avais déjà essayé avec Léon Bobée… »



Je regarde, je regarde sous la pluie toute la vie nouvelle, les nuages gris qui voyagent – vie – les maisons comme Bernard Buffet, le Grand Siècle. Puis je suis passé à la boutique de l’Assemblée Nationale pour me réchauffer, il y avait un parapluie déployé, gris clair, marqué (avec l’inscription) sur une tranche sur deux « Tous les êtres humains naissent libres et égaux. » Puis j’ai inscrit sur mon carnet qui prenait l’eau : « Le temps de Dieppe ». Les arbres luisants comme des éléphants, pas la phosphorescence de Dieppe, mais la lumière, oui. Le gris luisant, brillant comme une peau, des arbres nus en hiver, sans feuilles, chauves.






** Au Monop’, l’autre soir, un employé chantait : « …l’amour comme s’il en pleuvait… »

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Les femmes africaines

Thomas Ferrule, il a un bébé
je pensais qu’il était gay


ben non, personne n’est gay, qu'est-ce que tu racontes ? nous on est des vrais hommes – pas tristes pour autant...

tu es seul ce soir ?

non, j’suis avec une pute, une black que j’ai fait monter, pourquoi ?

alors pourquoi tu réponds au lieu de faire subir les pires outrages à ton black bien monté ?

ma black, s’il te plaît, ma – féminin – une pute, une black, avec des seins et un clitoris...

t’as une webcam?

je suis dans des bureaux d’un théâtre flamand, ça mettrait un peu d’animation


à c't'heure-ci ? fous-y l'feu...

non pas de cam, désolé...


« Il paraît que les femmes africaines font l’amour d’une façon extraordinaire. Lorsque l’homme introduit son organe sexuel dans le vagin de la femme, il y fait une chaleur de fournaise. C’est un administrateur des colonies qui me l’a dit. »

c’est quoi ? Céline ?

non, Jean-Pierre Léaud dans La Maman et la Putain

toi, t’es la maman ?

la tienne, oui.

un peu, oui, c’est vrai

je ne sais pas si tu disais cela méchamment, mais j’accueille ça avec une certaine tendresse


oh, non, pas méchant avec toi. en c’moment, ça baigne ! tiens, j’passerais bien des vacances avec toi. au soleil. Cuba ? qu'est-ce que tu dirais de Cuba ?

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La ligne 2

Pierre s’émerveille du nom de ma station de métro. La Chapelle. Ce nom que j’ai eu toute ma vie un peu honte de dire : « J’habite à La Chapelle... » Nothing. C’est pas connu. Pas de mouvement. Ce monde est tellement profane, que voulez-vous ? « ...Entre Barbès et Stalingrad. – Ah… » Alors, moi, c’est encore plus con. Je suis dans l’métro, je lis Chrétien de Troyes, Perceval ou le Conte du Graal, et je lis cette phrase :

Je lis : « Alors ils vont se jeter dans les bras l’un de l’autre, ils commencent à délacer les heaumes, les coiffes et les ventailles, et ils en rabattent les mailles ; puis ils s’en vont, exultant de joie. »

Ce qui me remplit de joie, en effet. (C’est Perceval et Gauvain qui s’embrassent après l’épisode célèbre des trois gouttes de sang sur la neige, l’épisode de la beauté.) Et je relève la tête pour voir où j’en suis. Courcelles. Je ne savais même pas que cette station existait.






Lors va li uns l’autre anbracier,
Si comancent a deslacier
Hiaumes et coifes et vantailles
Et traient contremont les mailles,
Puis si s’an vont joie menant.







Bon, bon, allez, ah la la, on est peu d’chose entre les mains de l’amour !

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Pierre est distrait

Avec Pierre on a déjà nos p’tites habitudes. À la sortie du cours de danse, je passe au Monop’ de la rue de la Roquette et j’achète un repas que je ramène en Vélib’ et qu’on mange à la maison (au donjon). Le Monop’ de la rue de la Roquette, c’est le Monoprix décrit par Gérard Mayen où, même si Amanda Lear était en pull, elle aurait l’air chic. Donc, là-haut, on pique-nique et, à un moment, comme je venais de déposer sur le plateau – sur le matelas – les desserts, deux cup cakes (myrtille et pomme cannelle) et une barquette d’ananas en morceaux et que j’étais revenu (nu) vers la kitchenette pour un peu de rangement, je vois Pierre faire disparaître dans l'frigo l’ananas en morceaux, un peu comme un somnambule « Qu’est-ce que tu fais, tu n’aimes pas ça ? Je viens de l’apporter. – Ah ? Je croyais que c’était des pommes de terre. » (On ne l’a pas ressorti.) Plus tard, je le vois qui range, toujours dans l'frigo (c’est le seul placard), cette fois les deux cup cakes qu’on n’avait pas encore touchés. « Et maintenant qu’est-ce que tu fais ? Tu n’en veux pas ? – Si. » Bon, de toute façon, je ne sais plus à quel moment de la nuit on les a mangé, ces desserts… On n'arrivait pas à lire ce que c’était, sur l'étiquette, à cause de la faiblesse de la lumière qui était belle. C'est maintenant, en fouillant dans la poubelle, que j'ai vu que ça s'appelait des cup cakes. J’ai bien aimé (qu’il les aime), j’avais plus faim du tout, mais j’ai bien aimé quand même. On en a mangé un et l’autre aussi.



« Sire, aussi vrai que je demande à Dieu de m’aider, il n’est pas juste, vous le savez bien, vous l’avez toujours dit et prescrit, qu’un chevalier ose, comme ces deux-là l’ont fait, arracher un autre chevalier à ses pensées, quelles qu’elles soient. (…) Le chevalier pensait à une perte qu’il avait subie, ou bien on lui avait enlevé son amie, et il en souffrait et il en était tout absorbé. »

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Renaissance

Wayne Byars, mon professeur de danse, hier, passe vers moi (je suis à la barre, les bras en couronne, en train de faire l’exercice) et me souffle : « Oh, tu as un tee-shirt Obama, c’est bien (c’est le tee-shirt que m’a acheté Hélèna à l’épicerie africaine en bas de chez elle), tu as vu… » Je le coupe : « Non, je n’ai pas vu les cérémonies. » (La veille, il avait dit qu’il s’excusait d’être un peu déconcentré parce qu’il avait regardé « l’inauguration ».) « – Qu’est-ce qu’il était bien habillé !... » Deux-trois secondes, puis l’exercice continue sans lui, moi hilare (il se plaint souvent que je n’ai pas le visage assez éveillé, « enlightened »), le piano continuant de descendre et de monter à plein régime. C’est ça qui m’avait foutu la pêche au début de ces cours classiques, ce piano qui dégoulinait, s’ébouriffait, se splashait dans tous les sens tandis qu’on était censé faire des choses un petit peu techniquement difficiles, pas évidentes (à mon âge)… Hier, Wayne, qui n’arrête pas de dire : « Y a de l’espoir, maintenant. » (et nous lui répondons : « Yes, we can. »), a dit : « Vous pensez toujours que les progrès, vous les ferez plus tard. Non. les progrès, c’est maintenant, c’est aujourd’hui, c’est le 21 janvier, le 21 janvier, c’est le jour pour faire des progrès, c’est aujourd’hui, le 21 janvier… » Il n’arrêtait pas de répéter ça et je me suis souvenu alors que le 21 janvier est l’anniversaire de ma sœur, pas de sa mort, ça, je ne sais plus, mais de sa naissance. Les 21 janvier de tous les 21 janvier.

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