Thursday, April 08, 2010

Journal d'un créateur, 8 avril

La forme œuf
I opened my desk today
La féerie flétrie




Aujourd'hui, détente - et reprise : c'est tout de suite beau. Comme si tout le monde comprenait que ça n'allait pas être si difficile à bâtir, ce spectacle. Les Célibataires et leur blancheur immaculée sont au loin sur la montagne comme abbatus de soleil. En fait, ce qui me fait dire que c'est bien, c'est ça : les distances nouvelles sur la montagne, entre les mondes, sont plus grandes, immenses - apparaissent enfin.... Et cette profondeur de l'espace, cette immensité, ce feutré entre les mondes, montre que quelque chose est compris : l'homme est perdu dans le cosmos - mais il y a l'amour, il y a les rêves. Il y a cette chaleur et il y a le fait que nous allons nous en sortir, qu'il va y avoir un rédempteur, qu'il va apparaître parmi les hommes : il va apparaître, nous n'avons pas le choix - comme disait Clélie ce matin quand nous cherchions notre route : "Il y a toujours de l'espoir." - mais que nous allons aussi sans doute beaucoup souffrir, l'humanité toute entière, beaucoup souffrir avant de trouver comment nous en sortir, tous ou en partie, et définitivement.

Pierre et Clélie sont venus me rendre visite. L'appartement, le restaurant, les promenades en ville... Ce matin, après les jeux dans l'apparte - par exemple : déplier les tables, les canapés et, comme c'est moderne, Clélie y arrive aussi bien que nous (j'ai compté qu'on pouvait allonger sept personnes) -, nous étions dans la forêt de Soignes, sorte d'immense bois de Boulogne (ou de Vincennes) qui mange la ville au Sud, qui la frôle, qui s'y greffe. Clélie a adoré (alors que le projet de s'y rendre lui avait semblé fastidieux). Je lui ai raconté que, dans la pièce, j'étranglais une petite fille de neuf ans puis, plus tard, nous parlions des Anglais et elle dit : "C'est pas bien d'être Anglais." Pourquoi donc ? "Non, c'est pas bien d'étrangler." Ah, oui, non, c'est pas bien. Pierre me raconte qu'un enfant (quatre ans), en le voyant (à Lille, peut-être...) a dit à sa mère : "Il est pas beau, le monsieur." d'un air définitif et révulsé. Lui aussi joue Frankenstein ?

Les rêves de l'humanité. Toute une histoire... L'humanité a rêvé, elle a rêvé depuis le début, sans doute un peu plus que les autres singes, parce qu'on en a écrit des histoires, des histoires, oh, oui, cette Bible infinie... Jusqu'à la fin du monde, prédite, la fin du monde : maintenant - ou non... Elle a rêvé, elle a rêvé à partir de ce défaut originel, cette tache, cette faille dans les gènes (tout un livre que je feuillette, dans la pénombre à côté de mon ordinateur, intitulé : Génétique du péché originel). Et si Frankenstein n'était rien d'autre que la personnification de ce défaut, de ce péché atroce à partir de quoi tout s'écrit - le mot "tache", "blot", revient souvent dans son propre discours comme dans celui de son créateur - ce vide, ce défaut de néant dans l'être, cet accident qui le dévalue, le maudit... "You know me - or you do not." Bitter observation.

C'est effrayant - et si émouvant - de voir ces êtres qui vont mourir perdus sur cette montagne - montage de velours noir, la montagne-théâtre itself, la montagne flétrie, l'histoire-montagne de toute ces époques qui ont cru à l'avénement d'un homme nouveau, le romantisme, bien sûr dans le sillage des révolutions (américaine et française), mais Tchekhov aussi, on y pense assez facilement. Jeanne Balibar m'a raconté que La Cerisaie qu'elle va jouer avec Julie Brochen fait partie d'un cycle projeté par Tchekhov qu'il avait intitulé : le cycle du blanc. La deuxième pièce devait se passer au pôle Nord - tiens, comme la fin de Frankenstein - la troisième, on ne sait pas. Anton Tchekhov est mort en ayant écrit seulement La Cerisaie. (Et il est mort en disant ce mot, vous savez :"Ich sterbe.", dont Nathalie Sarraute a fait l'une de ses plus belles nouvelles.)

Tout d'un coup apparaissent, sur la montagne, comme des fantômes, les présences droites et dressées des animaux romantiques, mes préférés dans la pièce, les héros, les Fantastiques. Hedydd (Mary) en fait aussi partie, mais elle a un rôle plus chargé (le rôle-titre), tout se passe dans sa tête, elle est toute la pièce à l'avant-scène, Seamus, Rebecca et Joseph sont parfaits, long legs, les animaux sacrés. La lumière parfois cherche comme une torche, parmi le noir infini, des traces. J'ai peur de gâcher ce texte en avouant que Byron, d'où je suis et d'où maintenant je me penche, semble bien imposant sous son pantalon. La lumière sans doute. J'ai bien peur que Joseph Chance, alias George Byron, reste, pour moi, jusqu'à la fin, le diapason sexuel de cette histoire. C'est peut-être que, par hasard, Joseph joue bien.

Je vais revenir dans la vie, tiens, même noire, pas trop d'écriture, même blanche - non sans peut-être auparavant saluer ici Audrey Bonnet qui m'a avoué gentiment l'autre jour suivre sur le blog cette drôle d'histoire de Frankenstein.

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1 Comments:

Anonymous Anonymous said...

"la peur, peut-être..."

1:28 PM  

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