Thursday, May 27, 2010

Le Bonheur et encore

On me propose un deuxième verre de vin au Cintra (celui qui s'extasiait que je reçoive la télé en direct sur mon ordinateur), alors je vais vous parler (encore). J'ai déjà honte. Affirmer son bonheur par l'écriture est exactement le démentir, j'ai déjà fait souvent allusion à cette vérité. Et puis les cloches sonnent, et puis je devrais aller travailler. Mais, justement, je ne fous rien. Tout le travail consiste à être chez moi, ici, à Avignon. Et j'y arrive très bien ! Véritablement très, très bien. Je suis chez moi à Avignon. Après, le spectacle découlera forcément - grâce à un peu de dramaturgie que vont me préparer, je l'espère, Pierre Courcelle, Gérard Vidal et Arnaud Bourgoin (ou qui se propose, le poste est ouvert et multiple) - se déroulera forcément dans la joie et la bêtise (comme on fait les enfants). J'ai dit à mon psy l'autre jour que j'avais toujours voulu, essayé de faire les choses par-dessus la jambe, "pour la qualité de ça". Il a très bien compris, mais il m'a dit : "Ç'a eu payé, mais maintenant, c'est fini." Oui, il faut bien reconnaître que l'époque n'est pas à la rigolade... Bon, faut en être conscient - conscient de la stupidité massive et de la guerre de l'époque - et en même temps, que voulez-vous ?, ne se préoccuper que de bonheur, le bonheur, c'est d'aucune mode, c'est même ce qui nous permet de nous balader à toutes les époques, de comprendre comment vivaient les gens du temps de Rome (Nîmes, Arles) ou au Moyen-Âge ou au XVIIIième ou au XIXième ou dans les années soixante (mon enfance). Bref, le bonheur, c'est le fil conducteur, la clé pour communiquer avec les animaux, l'air, la lumière - et, même, comme dit Gilbert Montagné, avec "les flics et les voleurs". On pourrait même, par le bonheur, communiquer avec l'ex-femme de Pierre, mais, ça, ça attendra un peu parce que y a des cas un peu graves, des pathologies un peu lourdes, ça risquerait de prendre beaucoup de place. J'ai pris un jour de congé - depuis quand je n'en avais pas eu ? - et maintenant je regarde Bertrand Delanoë nous parler de Paris. Je l'aime bien, c'ui-là. J'ai loué une voiture à la gare, une charmante hôtesse - il faut dire quand même que ce qui est agréable, c'est qu'il y a toute l'infrastructure qui fonctionne, mais qu'il n'y a personne, on trouve des chambres partout, des voitures à louer facilement, personne n'est stressé. Bien sûr, tout le monde se prépare pour l'été et tout le monde est heureux. La patronne du Cintra, c'est Marlène en direct, j'ai un spectacle en permanence. Qu'est que je l'aime, Marlène ! Celle-ci s'appelle Bernadette. Et puis donc j'ai voyagé ! Avant de mourir, j'avais envie de voir les Saintes-Maries-de-la-mer, Saint-Rémy-de-Provence, j'avais envie de revoir les deux villes sublimes, Nîmes et Arles, j'avais envie de me baigner encore une fois au Pont du Gard, j'avais envie de voir comme l'été était vert et bleu dans le Sud au mois de mai, je connaissais pas. J'avais envie de lire les romans de Claude Simon que je relisais en pensée. Parfois l'auto-radio diffusait quelque chose : Marcia Baila, des Rita Mitsouko. J'ai vu des taureaux somptueux et belliqueux (ils se battaient et faisaient voler du sable, j'ai eu envie de leur dire : "C'est justement ce qu'on attend de vous, de faire les taureaux comme ça, mais vous ne pouvez sans doute pas vous en empêcher, gentils jeunes taureaux, vous allez finir à l'arène...") J'ai vu des flamants roses et je me suis demandé, encore une fois, comme Darwin, comment et pourquoi ils avaient privilégié d'être si longs sur pattes (et, du coup, faut rajouter le cou...) Qu'est-ce que j'ai vu d'autre en Camargue ? Ah, oui, les chevaux. Surtout l'air, l'immensité du ciel, le delta, les miroirs et la mer comme la bordure bling-bling du monde, bleu roi et impayable. Je suis allé à Saint-Rémy-de-Provence et j'ai vu les somptueux châteaux juste au-dessus du village, donnant sur le parc des Alpilles. A Arles, j'ai assisté à une violente dispute dans une rue. "Voyons, ne recommencez pas. - Comment ? Mais je veux qu'elle entende que son sursis est fini, que je vais porter plainte, maintenant, je veux qu'elle le sache pour qu'elle ne s'étonne pas, qu'elle sache qu'elle n'a plus de sursis..." Et l'autre de la traiter (mais de plus loin) de "pute, traînée et gouiouiouine !" "Gouine" étant évidemment l'acmé. A Arles, un gitan m'a lavé le pare-brise, je lui ai donné un euro et il m'a dit : "Merci beaucoup. Bonne chance, la famille !" J'ai pensé à "ma" famille, c'est-à-dire à la petite de Pierre et à mes parents... A Arles, j'ai envoyé un texto à Laurent Lafolie : "Une pensée pour toi d'Arles où je me souviens des beaux portraits..." et, aussitôt après, une femme que je voyais depuis un moment se faire caresser de manière très intime par un homme à dix-douze mètre de moi s'est approchée et m'a demandé : "Connaissez-vous Laurent Lafolie ?" C'était étonnant. Elle était photographe et m'avait reconnu justement du portrait de Laurent Lafolie qu'avait exposé son ami Arnaud (le caresseur), directeur d'un festival à Montpellier. Mais Arnaud que j'avais vu vraiment dans son âme ou dans sa névrose, c'est-à-dire dans son rapport à cette femme, faisait maintenant son méfiant, cette attitude si commune en France et qu'on ne voit jamais, jamais en Belgique, je me suis souvenu. Le verre de vin est un peu trop, moins bon que le premier, mais il a permis de vous écrire un peu de cette journée surréelle de trop de soleil et de vie. Je n'ai pas parlé des platanes. Disons le mot : "platanes" (pour aller vite). J'ai pris une glace à Saint-Rémy-de-Provence et j'ai pensé : "Faut que j'fasse gaffe, quand même, à pas m'remettre au sucre..." J'ai été dans les oliviers, dans la pleine chaleur. Et, ce matin, au réveil, dans la chambre 17 du charmant Hôtel Central, vingt-neuf euros (hôtel évidemment pris d'assaut par les habitués du festival qui réservent d'une année à l'autre), j'ai écrit, tandis que l'amour du monde m'arrivait en vagues à travers les persiennes, j'ai écrit : "la sensation d'été", comme un titre - mais j'ai précisé : "(d'être et avoir été)".

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