Wednesday, December 29, 2010

Solal, tu m’agaces

(Raiponce et questions)



J’ai accompagné les enfants au cinéma pour voir Raiponce, mais je n’y suis pas rentré. Cette fois-ci, j’ai moins hésité que pour la promenade dans la montagne. J’ai dit aux enfants qu’ils me raconteraient le film et que « ce serait pareil ». Je suis allé en ville, je suis allé à la librairie Montbarbon (feuilleté Francis Ponge dans la pléiade, un livre illustré très beau sur Françoise Sagan, un autre sur Yves Saint Laurent, un sur Barbara, recopié des citations) puis à la Maison de la Presse où j’ai acheté « Les Inrockutibles » parce que j’étais classé dans le top 5 de l’année par le critique Jean-Marc Lalanne (avec le spectacle sur le butoh, Rien n’est beau...) et aussi un hors-série de « Libération » sur les excentriques. Puis je suis allé boire un thé et lire tout ça dans un très agréable café, déjà agréable du temps où j’étais au lycée et qui l’est resté. J’ai reconnu la patronne, mais, elle, non. Il est vrai que, dans cette petite ville, je ne cherche pas à être connu, je suis incognito. C’est aussi la ville de Pascale Murtin. Il y avait de la beauté, de la douceur (non agressivité). Un garçon près de moi avait une barbe très, très belle qui me rappelait des tableaux anciens, une noblesse ancienne. Ce n’était pas lui qu’il m’aurait intéressé de connaître (pourquoi le déranger ?), mais je me demandais quoi faire de la barbe, je voulais au moins en faire une photo, je voulais devenir photographe pour pouvoir aborder les gens : « Je suis photographe, voyez, je voudrais photographier votre barbe. Signez là et on le fait. » J’avais hésité à m’acheter la très belle édition de Francis Ponge et je suis retourné à la librairie pour la feuilleter encore. Si émouvant, cette solitude, cette exactitude de l’écriture de Francis Ponge, cet orgueil. Mais mon frère m’a appelé pour me dire qu’ils étaient sortis du cinéma. Je les ai rejoints et Anaé a commencé, comme prévu, à me raconter le film. « Allons déjà dans la voiture, tu me le raconteras dans la voiture… » « Anaé ne sait pas résumer », dit son père et, en effet, elle raconte le film quasiment en temps réel, comme une carte 1/1. Le récit a continué bien après notre arrivée à la maison, dans le salon, et ça a empiété sur l’horaire du goûter et c’était vraiment long et maintenant je connais tous les détails de Raiponce, vous pouvez me demander. Jusque là, la raiponce, c’était pour moi – avec le jeu de mot qui n’existe qu’en français, je crois – le nom de cette plante que l’on trouve dans un très beau texte de Paul Celan, l’Entretien dans la montagne (Gespräch im Gebirg). « Pauvre martagon, pauvre campanule raiponce ! Le vert-et-blanc là-bas, qui avec le martagon, qui avec la campanule raiponce… » Je n’en trouve que des extraits sur Internet, mais c’est sublime. Bastien Mignot m’avait fait le bonheur de le travailler pendant le stage de juin, Jouer Dieu. C’est un texte (en prose) écrit avec très peu de mots – des mots si courant, de rien, sauf – le nom des fleurs, soudain, qui apparaît, comme l’orange dans un texte de Beckett, presque comme baroque, surréaliste. J’écris ce texte, mais Solal n’arrête pas de me déranger. Je suis obligé de dire que « je travaille », mais la formule ne l’impressionne qu’un temps. Solal a l’esprit révolutionnaire. Il met en doute tout. Les valeurs n’existent pas, en tout cas, tout peut se discuter. Même la gentillesse – comme dans L’Enfant et les sortilèges – il n’est pas du tout prouvé que ce soit intéressant. « Etre méchant » brille d’autant de feux, plus même, vous ne trouvez pas ? C’est plus fun, c’est plus renversant. Vos vieilles valeurs… Mentir, se moquer, ruser, s’en foutre, n’en faire qu’à sa tête, voilà quelles sont, en tout cas, des valeurs de garçon ! Puisque sa sœur est plus raisonnable, il faut bien un créneau. Avec lui, il faut tout négocier. Il est très malin (et si craquant). Il ressemble au prince-voleur de Raiponce, celui qui a la voix de Romain Duris, l’arnacœur… J’entends son père lui dire : « Solal, tu m’agaces ! » Eines Abends, die Sonne, und nicht nur sie, war untergegangen, da ging, trat aus seinem Haüsel und ging der Jud, der Jud und Sohn eines Juden, und mit ihm ging sein Name, der unaussprechliche, ging und kam, kam dahergezockelt, ließ sich hören, kam am Stock, kam über den Stein, hörst du mich, du hörst mich, ich bins, ich, ich und der, den du hörst, zu hören vermeinst, ich und der andre, — er ging also, das war zu hören, ging eines Abends, da einiges untergegangen war, ... Un soir, le soleil, et pas seulement lui, avait disparu, et alors s’en alla, sortit de sa maisonnette et s’en alla, le Juif et fils d’un Juif, et avec lui s’en alla son nom, l’imprononçable, s’en alla et s’en venait, s’en venait comme ça, clopin clopant, on se faisait entendre, s’en venait avec son bâton, s’en venait passant sur la pierre, m’entends-tu, tu m’entends, c’est moi, moi, moi et lui, celui que tu entends, que tu t’imagines entendre, moi et l’autre — donc il s’en alla, ça s’entendait, s’en alla un soir, alors qu’un certain nombre de choses avaient disparu, ...

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