Wednesday, January 27, 2010

LIBEREZ POLANSKI, lente prière

La nuit tombe lentement sur Genève.
Il y a des hautes fenêtres dans la salle peinte en noir... Je ne sais pas comment fermer les stores alors j'attends sans faim que la nuit tombe pour l'ambiance juste... Il est 17h21 et on sent un mouvement, déjà, de reflux... Quelqu'un qui avait laissé ses affaires passe les reprendre... Je l'interroge : il travaille sur une partition de souffle.

LIBEREZ POLANSKI, lente prière

J'ai vu Maya. Je suis allé au studio où je loge. Le studio est une grande baie vitrée qui donne sur le fleuve. Le fleuve, c'est le jeune et frais Rhône. En face, un hôtel sans doute : MANDARIN ORIENTAL.
Je descends au restaurant comme un grand.
Je sens des possibilités. A cause des gens. Ça s'ouvre. Le garçon me fait un cours sur la Suisse (j'hésitais sur le Tessin, dont il me sert un vin).

Je voulais aborder le mystère suisse, l'art difficile de ne presque rien faire.

"Not that I expect something bad", dit un jeune homme d'affaire en chemise blanche. Il y a des femmes aussi à une autre table, tout un groupe comme de campagnardes, mais ce ne sont pas des campagnardes, ce sont des Suissesses...

Il y a une langue qui circule qui parle à mon oreille natale...
Les profils sont beaux.
La passion d'être une femme.
La passion d'être un homme.
Chacun dans son monde - sauf pour l'amour (appelé aussi : la reproduction).

De nouveau dans le studio, il n'est pas dix heures, mais mes yeux se ferment, route et fleuve vont vers la même direction (vers la France)...

Première idée :
Les Suisses entretiennent une relation non violente, dépourvue de toute espèce d'agressivité avec la réalité et remplacent la frénésie de l'intervention active - style Sarkozy - par la disponibilité et le courage du laisser faire...

Je mélange ma préoccupation aux phrases d'un livre que je tente de suivre de plus en plus difficilement à travers la façade de mes yeux.

Le fleuve descend, descend toujours, comme un film qui ne s'arrêtera jamais...
C'est un peu la peur. L'Egypte. Je ne suis pas assez grand. La montagne, les animaux, la forêt, le froid, le fleuve, tout ça, je ne connais pas.
Le fleuve enchâssé, c'est une coulée de lave.

Les Suisses sont occupés à l'invention d'une curiosité : la démocratie. La démocratie est une contrefaçon. Alors les Suisses font avec cette violence qui s'appelle faire des affaires, c'est ça, le problème suisse - ou sa résolution - : et avec les affaires vient l'argent et avec l'argent vient la réalité.
Ils ne sont pas anarchiques, les Suisses, ils ne sont pas poètes pour deux sous. Il paraît qu'ils se disputent un peu sur tout entre les cantons, c'est le serveur du vin du Tessin qui me le dit, mais tout ça, c'est diversion...

Je me demandais si mon psychiatre n'essayait pas de me transformer en Suisse en me priant d'accepter les antinomies naturelles et de laisser la nuit et le fleuve décider pour moi.

Mais la Suisse a-t-elle une utilité ? A-t-elle autant d'utilité que toutes les actions du monde ?

C'est maintenant le matin, la ville et les bus sont réveillés, les voitures roulent dans l'autre sens, mais le fleuve va toujours vers la mer.

Il y a des hôtels sur la mer. Mais la mer ou le fleuve, ce n'est pas reposant.

Les femmes sont si différentes des hommes.
Je regarde celle qui donne le sein. J'en regarde tout un groupe, celle que je prenais pour la mère n'est pas celle qui donne le sein. Cette plénitude... (Mot chuchoté.) Les femmes seront toujours avec les femmes et les hommes avec les hommes. Chaque sexe agit dans sa plénitude. Ça n'a rien à voir avec l'homosexualité.

Au Pain quotidien : "On avait une charmante demoiselle avant, on a perdu au change... Non, vous trouvez pas ? Ah, oui..."

"Toi, on te dit de rester, et, moi, on me dit que dès que j'en vois passer un (Il fait mine de tirer au fusil sur des canards dans le ciel.) : poum, poum ! Tu vis dans un monde, c'est extraordinaire..."

"Au tremblement de terre qui a aplati une partie d'Haïti et endeuillé tant de familles répond un élan de sympathie émouvant qui réchauffe le cœur et l'esprit", écrit le fonctionnaire international dans "La Tribune de Genève".

Les incroyables et effroyables mystères de la vie et des papiers journaux qu'il suffit de regarder avec sourire... Tout se détache de la pellicule, si vous voulez, qui est une fine vitre. Il y a ce phénomène de la journée, avec ces bruits familiers, la porte qui s'ouvre, "Bonjour madame", les bruits des chaises sur le plancher, les bruits de vaisselle en cuisine, les bruits de la porte, de la caisse enregistreuse, le bruit de la conversation des comptables où l'un des deux hommes, seul, est audible (comme souvent), le bruit de la cuillère qui tombe / qui tinte sur le sol / sur le bol, des bocaux de condiments reposés sur la table, le scratch-scratch du poivrier, etc, "Bon appétit - Merci !..." Il faut glisser vers l'après-midi...

"C'est très simple à changer, c'est une question de donner l'instruction..."

(Césure.) C'est curieux que je vienne comme parler des Suisses aux Suisses. Est-ce que j'imagine un spectacle où un Suisse viendrait parler des Français aux Français... - pourquoi pas ? Il faudrait néanmoins un texte "grand", hein, comme le texte de Cioran, par exemple, c'est celui auquel je pense. Sinon si c'est pour dire des banalités... (Le spectacle, à ce moment-ci, semble aller vers sa panne. Puis reprise.) Il faudrait que j'établisse ce que le mot "Suisse" représente pour moi - et c'est un peu mal parti... (De nouveau panne de la parole puis reprise.) Disons... Ce que je peux dire peut-être de plus profond au cours de la soirée, c'est... que le mot "Suisse" représente pour moi le théâtre. Le mot "Suisse" est vide de sens exactement comme le mot "théâtre" et il se remplit comme un lac exactement de ce qu'on peut y mettre / de ce qu'on veut y mettre, nous, la société des hommes.
(Parce que les animaux s'en fichent de la Suisse, vous comprenez. Ils n's'en fichent pas du lac, mais de "La Suisse", oui.)
lls s'en fichent moins du théâtre que de la Suisse, les animaux, peut-être...



(Première anecdote - improvisée au micro sur pied.)

Il paraît, c'est Michel Faure qui me l'a dit, il paraît qu'il y avait une jument, ici, dans la black box, qui pissait toujours et exactement au bon endroit dans le texte. C'était arrivé par hasard sans doute la première fois, mais après elle a tenu à le refaire exactement au même moment, sur un mot... Une grande actrice.

(Seconde anecdote - improvisée au micro sur pied.)

Ça m'fait penser... parce que, cette mécanique apparente des animaux, c'est ça, être un grand acteur... C'est une anecdote, c'est Alain Cuny qui travaillait avec Claude Régy et y avait aussi Maria Casares, mais il ne s'entendaient pas du tout, Maria Casares et lui. Pendant tout le temps où ils ont répété et joué ensemble, au théâtre de Chaillot, ils ne se sont pas dit bonjour. Y avait en ce temps-là, c'était en 1970, un ascenseur pour descendre sur le grand plateau d'Chaillot et ils le prenaient ensemble sans se dire bonjour. Et donc au cocktail de dernière, Claude Régy, harrassé, qui avait failli rentrer à l'hôpital psychiatrique de toute cette tension dit à Alain Cuny : "Je n'ai pas compris c'qui s'est passé parce que comme vous aviez travaillé plusieurs fois ensemble, je pensais que vous appréciez cette actrice" et Alain Cuny répond de sa voix que je suis bien loin de pouvoir vous imiter : "Elle, une actrice ? mais c'est une truie mécanique !" Ce qui n'est pas très gentil pour les truies qui sont, certaines, de très bonnes actrices... Enfin, c'est une réflexion très bête...



Pour ma part et pour en revenir à notre propos, je préfère rien y mettre et garder le mot "Suisse" ou le mot "théâtre" vide de sens et large, vaste, comme une tache blanche - ou une boîte noire - pour y gambader, pour pouvoir y gambader en liberté surveillé. Oui, bien, parce que... on est en liberté surveillée, voilà où j'voulais en v'nir... Dans un théâtre on est en liberté surveillée. Un théâtre, c'est plus surveillé qu'une église, par exemple, ou un temple ou même une mosquée... Il faudrait bien sûr imaginer un peuple imaginaire, les Suisses, si j'voulais en parler, c'est toute la difficulté. Les Suisses sont un peuple imaginaire. J'essaie encore un peu avant de changer de sujet. C'est les gens, je veux juste les comprendre... Si j'arrivais à les photographier, à les aborder, à parler, à interviewer, ce serait tout bon...

Aujourd'hui, c'est jeudi. Contrairement à hier, les bars sont plein. Tout le monde semble dans les affaires, mais très chics, ceux qui sortent en tout cas. Les lounges, les bars, les restaurants sont bondés de gens comme je n'en connais pas, ni à Paris ni ailleurs et que je ne rencontrerai pas ici non plus. C'est la vraie vie... Celle qui me fait penser que : De quoi sommes-nous faits, nous qui allons dans les théâtres ? Nous, vous et moi, nous tous, nous sommes des marginaux... Alors qu'est-ce qu'on peut faire de cette marginalité ? Parce que c'est un fait, on peut lire les mêmes journaux, parler la même langue, mais nous ne sommes pas les mêmes, nous ne sommes pas mainstream, nous ne sommes pas dans les affaires... Jouer ou regarder du théâtre (puisque c'est la même chose) fait de nous des marginaux - ça vous fait plaisir, vous ?
Evidemment, dans le studio qui est est situé le long du Rhône mais au-dessus du restaurant, à partir de ce soir, plus question d'y dormir...

Peut-être que les Suisses ont une certaine connaissance de ce qu'on appelle la loi des compensations qui dit qu'il ne peut y avoir de progrès en bien sans progrès en mal et vice-versa, ainsi si les mines antipersonnel existent, il faut qu'existe aussi la croix-rouge... et vice-versa... C'est fatigant.

Il y a du bruit pour toujours dans le studio dans lequel je vis, toute la nuit est l'eau du fleuve, brillante et lustrée, sonore, l'encre de chine toujours vivante, jamais de début ni de fin, le vivant est un éternel écoulement.

Mon texte n'est pas fini, j'aurais dû le dire plus tôt : mon texte n'est pas fini.

En même temps - qu'est-ce qu'il y aurait à comprendre à la Suisse ? J'pourrais monte dans les Alpages et redescendre et j'aurais tout compris. Mais pourquoi tout comprendre ? (Sens : pourquoi pas ?)

Le train longe le lac. Il y a une courbe.
La France, pays frère.

Labels:

Belle de jour

"Il est impossible d'apprécier sa paresse si on n'a pas une masse de travail devant soi."

Labels:

La page 310

Texte partitionnel d'une perfomance représentée les 25 et 26 janvier 2010 au théâtre de Vanves dans le cadre d'une longue soirée intitulée "Montre-moi (ta) Pina". Cette partition pour un comédien peut donc être jouée par n'importe qui et dans n'importe quelle circonstance - de plus : n'importe comment, en partie ou en totalité - ou augmentée de n'importe quoi - et bien entendu sans aucun droit à payer - la notion d'"auteur" et, a fortiori, de "droit d'auteur" étant, pour l'auteur, fort douteuse (et c'est ce qu'exprime la performance). Sa transcription a été demandée par Garance Dor pour le premier numéro de sa revue (nom de la revue : ...). En note, une citation rare de Marguerite Duras.



Un comédien entre par l'avant-scène à jardin.
Il est vêtu d'un très beau smoking noir à paillette Hedi Slimane pour Dior, d'une chemise à lavalière, le tout d'ailleurs exactement repris de l'un des costumes féminins d'un Columbo des années soixante-dix.
Il n'a pas de chaussures assorties, il est en chaussettes et crocs noires, les cheveux décolorés blonds, longs, les yeux maquillés au khôl. C'est "Yves-Noël Genod". Il se dirige vers le bord jardin du plateau pour saisir et ajuster un micro avec son pied. Il place l'ensemble au milieu et commence à s'adresser au public. Il parle au début timidement - un peu à la manière de Pina Bausch, fera remarquer un spectateur -, dans sa barbe, et usera ensuite de toute la variété rhétorique des registres. Une fois le contact établi, c'est à dire une fois que tout est dit, il parle.



"Je suis l'homme du milieu. Ça veut dire qu'après moi, il y en a autant qu'avant moi. (Rires - terreur, certains regardant leur montre. Le spectacle pourrait s'arrêter là. Temps.) Enfin, pas tout à fait au milieu parce que - à cause d'un petit incident - hier, il y a eu un petit cafouillage, une petite embrouille. Guesh Patti - oui, dans la soirée, y a Guesh Patti - comme people... - je passais normalement juste avant Guesh Patti, mais Guesh Patti a pensé que ça n'allait pas, que ce qu'elle faisait était dans un autre registre, je ne sais pas, que je lui préparais mal son entrée, que je lui faisais de l'ombre, en quelque sorte - bref, que je ne pouvais pas assurer sa première partie, c'était clair et net ! Il y a eu des tractations tout l'après-midi, on m'a raconté, j'étais pas là, disons, au résultat, qu'on a juste interverti deux passages, bon, donc presque au milieu... (Il change soudain, lui aussi, de registre.) Pina, elle est morte, elle est morte, on va pas en faire un fromage ! (Rires.) Non, moi, si je suis là, c'est pour José. (Rires.) Moi, la soirée, je ne la comprends réellement que comme un hommage à José Alfarroba, c'est comme ça que je la prends, l'homme qui dirige si merveilleusement ce théâtre.

(Version de la première soirée.)

D'ailleurs, il est là, le maire du village ? (Rires. Le comédien fait mine de chercher parmi le public.) Il est là ? Je ne vous vois pas, vous êtes dans le noir... Bon, s'il n'est pas là, quelqu'un lui rapportera : Il ne faut pas diminuer les subventions du théâtre de Vanves, ah, non ! C'est le théâtre de banlieue qui marche le mieux ! Ce théâtre, c'est le théâtre de la Ville de Vanves, ce serait comme si Paris... Enfin, ce serait pour Vanves comme se tirer une balle dans le pied...

(Version de la seconde soirée.)

Enfin, je ne vais pas développer sur José puisque Monsieur... (Le comédien cherche réellement à ne pas faire la contrepèterie très drôle qu'on lui a soufflée en coulisse ("chaud du god"), mais qui licencierait illico José Alfarroba.) ...Gauducheau a si bien fait son éloge en début de soirée... Ah, si, une chose qu'a dite Monsieur Gauducheau... (Le comédien reprend, en imitant, une partie du discours du maire de Vanves.) "Nous encore, maire, élus, directeur de théâtre... - on a d'l'argent ! (Comme se tournant vers José Alfarroba.) - jamais autant qu'on veut, mais enfin... - y a des budgets à dépenser ! Mais, les artistes, ils ont rien !" Eh bien, je dois dire : pour moi, c'est pas vrai ! Enfin, c'est peut-être vrai pour Guesh Patti, je ne sais pas, peut-être qu'elle, elle n'a rien, mais, moi, si je suis ici, ce serait plutôt, au contraire, justement parce que j'ai un budget à dépenser ! (Rires.) Si je vous disais le prix de ce que j'porte sur l'dos... C'est indécent.

(Retour à la version commune aux deux soirées.)

Alors, bon, José - qui a toute ma confiance et réciproquement (Rires.) -, je n'sais pas ce qu'il s'est passé, il m'a laissé une suite de messages affolés... "Qu'est -ce que tu vas faire ? Qu'est-ce que tu vas faire ? Qu'est-ce que tu vas faire ?" (Jeu : de plus en plus en panique.) Je pensais que ma simple présence suffisait. (Rires.) Moi, quand j'engage Jeanne Balibar, je ne lui demande pas, en plus, de faire quelque chose ! (Rires.) Alors, samedi après-midi, je... Oh, un samedi après-midi de hasard, il n'avait rien de particulier, ce samedi, je suis entré dans une librairie au hasard (La librairie de Paris) dans un quartier où je me trouvais tout à fait par hasard (Place de Clichy, sur la ligne 13), ce quartier lui-même pris dans le hasard d'une grande capitale européenne indécise et hasardeuse (Paris) et, dans cette librairie, j'ai ouvert un livre au hasard trouvé sur la table des nouveautés et je me suis dit que j'allais vous lire la page qui apparaissait et c'est donc cette page que je vais vous lire. (Le comédien va chercher, à jardin, un grand éventail chinois avec lequel il jouera pendant toute la durée restante et revient près du micro.) Non, mais c'est pas ça que je devais chercher ! (Le comédien retourne à jardin et ramène, cette fois, un livre neuf et blanc (il s'agit de Rapport de police de Marie Darrieussecq, édition POL, mais il ne le dit pas. Il le feuillette.) Maintenant il faut que je la retrouve... (Rires.) Vous savez, je fais partie de ces gens qui pensent que tout est dans tout... Alors n'importe quelle page, n'importe quelle phrase correspondraient. C'est la page 310. (Bascule de lumière. La lumière nouvelle, très belle, mais latérale, n'éclaire pas le livre de manière pratique ; le comédien joue de cette difficulté de lecture et doit placer le livre dans une position un peu particulière.) "L'écriture... Alors, vous transposez aisément, n'est-ce pas ? Ça parle d'écriture parce que c'est le sujet du livre, mais on pourrait aussi bien dire la "danse" ou la "création" en général, bien entendu... "L'écriture, c'est l'inconnu de soi", dit Duras dans Ecrire. "C'est une sorte de faculté qu'on a à côté de sa personne, parallèlement à elle-même, d'une autre personne qui apparaît et qui avance, invisible, douée de pensée, de colère, et qui quelquefois, de son propre fait, est en danger d'en perdre la vie." (Jeu dramatique sur "perdre la vie". Silence. Reprise.) Chercher en soi l'inconnu, c'est s'autoriser à être auteur, en congédiant le Moi. (Mot très souligné.) A ce point-là du monde - à ce point-là du monde ! - dans l'absence à soi-même, "l'on dit et on écrit ce qu'on ne sait pas", - selon Jeanne Guyon (qui en parlait en termes mystiques). - Bataille nommait "expérience intérieure" ces moments de passage et d'extase. - (Entre chaque phrase, le comédien, s'assure que le public suit, intègre l'immensité de ce qui est énoncé.) Expérience de l'espace plus que du temps, peut-être. (Le "peut-être" est exprimé dans le sens de la perdition et la relativité de tout, c'est à dire de la continuité spatio-temporelle.) Expérience transmissible par l'écriture, et qui ne peut être volée. Oui, parce que - on s'en fout, mais le sujet du livre en son entier, c'est le plagiat, c'est sur le plagiat. C'est pour ça que l'auteur dit "volée", "qui ne peut être volée". (Temps.) Alors, voyez, nous n'en sommes qu'au milieu de la page et voyez déjà tout ce qui s'est dit ! C'est à se demander si c'est la peine de lire les livres en entier parce que vraiment... Je ne pense pas que ce soit la peine... Je continue. "Je porte en moi un signe de béance", disait aussi Mandelstam. Ça, c'est drôle d'écrire "disait aussi Mandelstam" parce que Mandelstam s'appelait Ossip, justement... "disait Ossip Mandelstam"... Au cœur de l'écriture il y a un axe vide, où le monde s'engouffre. ("S'engouffre" : très dramatique.) Trouver le passage vers cette absence qui donne accès à des mondes (Souligner "des".) : c'est ainsi que je conçois le fait d'écrire. (Et viennent les phrases centrales les plus importantes.) Il y a immensément à connaître dans le vide, qui n'est ni le néant ni la mort. A cet endroit-là, il n'y a personne. Se nommer à la place de ce vide, c'est ridicule. On peut au contraire en accepter le vertige, sans nom, sans prière, sans sacre. Il y aurait beaucoup à dire sur cette phrase, "sans prière, sans sacre..." (Ton plus bas qui évoque toutes ces choses*.) Mais, comme on a peu de temps, je voudrais juste relever ce mot : "vertige" car il rappelle Mallarmé : "...la lucide et seigneuriale aigrette / de vertige / au front invisible / scintille / puis ombrage / une stature mignonne ténébreuse debout / en sa torsion de sirène... On dirait d'ailleurs un portrait de celle qui vous occupe l'esprit ce soir. (Il fait exister Pina Bausch, comme le personnage, un peu, qu'elle interprétait dans le film de Fellini.) ...la lucide et seigneuriale aigrette / de vertige / au front invisible / scintille / puis ombrage / une stature mignonne ténébreuse debout / en sa torsion de sirène... (Temps, résonance.) Et se transformer en chambre d'échos et de métamorphoses. (Temps.) Si vous ne le croyez pas, venez me voir ! Si vous ne le croyez pas, venez me voir !... Ça, c'est le début d'une nouvelle citation, mais que je reprends à mon compte : Si vous ne le croyez pas, venez me voir ici-même, dans un mois et demi, où je vais jouer un spectacle (Rires.) intitulé Hamlet, le 8 mars, et ensuite, trois semaines après (dans deux mois donc), le 27 mars, un autre spectacle intitulé : C'est pas pour les cochons ! (Temps.) Donc, je reprends la citation (Il lit.) : "Si vous ne le croyez pas, venez me voir ; vous contrôlerez, par votre propre expérience ("Votre propre expérience" : très souligné.), non pas la vraisemblance, mais, en outre, la vérité ("Vérité" : très souligné.) même de mon assertion. (Plus mélodique :) Combien de fois, depuis cette nuit passée à la belle étoile, sur une falaise, ne me suis-je pas mêlé à des troupeaux de pourceaux (Très souligné.), pour reprendre, comme un droit, ma métamorphose détruite !" (Lautréamont, Chant 4, strophe 6). (Court silence.) Bon, alors maintenant , s'il nous reste quelques secondes, peut-être qu'on peut mettre un peu d'musique. (S'adressant à la régie.) Tiens, passe donc "Etienne, Etienne" ! (Rires.) Non, non, finalement, mets plutôt le Xenakis ! (Début, diffusé très fort, de Jonchaies de Yannis Xenakis enregistrée avec l'orchestre du Luxembourg. Le Comédien dégage le micro à jardin et revient vers le public en dansant ad libitum avec son éventail... Le comédien sort à l'avant scène côté cour.) (Applaudissements. La musique s'efface.)



* "J’ai quand même raconté l’histoire. Hein, Yann, je crois que j’ai raconté l’histoire aux comédiens. Et j’ai parlé du caractère, de la nature, plutôt, d’Ernesto. Parce qu’il ne peut pas arriver au personnage, Ernesto ; il est trop vaste. Il est nommé, parce que c’est pratique. Ça m’émeut beaucoup, ce que je dis, parce que c’est ce que je pense de lui, ça. On le nomme, parce que c’est pratique, mais à tous les noms dont on le chargerait, il répondrait. Il ne sait pas qu’il s’appelle comme ça. Il ne faut pas, il ne faut pas dire le mot, mais c’est l’être humain, avec Yves-Noël, peut-être, qui est le plus proche de la sainteté, que j’ai jamais rencontré. Une sainteté aride, complètement solitaire, et probablement sans lectures, sans rites, sans messe, uniquement accompagnée de solitude, et d’une solitude terne. Voilà. Mais je crois que si on arrivait à dire des phrases comme ça, ça serait aussi fort que de nommer. Plus fort, je dois dire. Vous n’êtes pas convaincus ?" (Marguerite Duras.)






Yves-Noël Genod, le dispariteur, pour Garance Dor

Labels:

Forrest of Feathers

(A venir.)