Friday, October 22, 2010

Dormir et puis après écrire

France Culture « Le Rendez-vous », vendredi 22 octobre 2010

(Cliquer sur le titre pour réécoute.)



Laurent Goumarre : Yves-Noël Genod est avec nous, metteur en scène, acteur, performateur d'ailleurs qui n’travaille pas sans lien avec ce qui vous hante, Sophie Calle, la disparition. Le Dispariteur, c’est le nom de son blog et puis de nombreuses pièces jouent sur des effets d’extinction, la lumière parfois, les textes parfois, les corps assez souvent… Alors, pour la Fiac, on lui a passé une commande parce que nous sommes vendredi : Yves-Noël Genod décline son journal de la s’maine. Yves-Noël Genod !



Yves-Noël Genod : Donc, alors, je r’garde mon agenda. Alors, lundi, eh bien, j’ai pris un cours de danse avec Claire Chazal. Plus précisément, le cours de danse classique de Wayne Byars, au studio Harmonic, à la Bastille. Mais alors, c’que je peux vous raconter, pour la journée d’lundi, c’est un fait d’actualité. J’ai assisté à la mise à sac d'la boutique Marionnaud d'la rue d'la Roquette. En fait, j’avais rendez-vous chez l'dentiste à neuf heures trente et, ensuite, j’ai pris le Vélib’ avec ma nouvelle dent et j’ai dû – je devais être un peu en avance – j’ai dû boire un café ou deux au Café Divan en lisant « Libé ». Je me souviens que c’est à ce moment-là, sans doute, que j’ai lu l’excellent article de Daniel Schneidermann : « Tapie, Despentes, nos prophètes » (qu’on trouve encore sur Internet). Et puis, à onze heure moins cinq, je m’suis dirigé vers le cours de danse. A c’moment-là, une quarantaine de jeunes « issus de l’immigration », n’est-ce pas ? mais le visage masqué par leur écharpe se déplacent, déterminés, vers l'entrée d'la boutique. Ils me traversent. Je sens le film me passer sur la peau. Ils n’me voient pas. (Une chance, sans doute.) A l’intérieur, on a dû avoir le temps d’fermer la porte puisque j'entends dans mon dos : « Ah, les salauds ! » La porte de verre est pulvérisée. Quelques secondes et la bande ressort avec des brassées de boîtes de parfums, n’importe lesquels, j’imagine, sans doute celui d’Enrique Iglesias (qui est en tête de gondole). Ils se dispersent. C’est très rapide, mais je n'peux pas m’empêcher de penser que la police est complice. C’est l’intuition. Quelque chose qui passe dans l’air. Impunité. Après l'cours, à déjeuner, le patron d'ce même Café Divan me dit qu'ce sont les jeunes du lycée technique en face. C’est ce qu’il m’avait semblé aussi. On les voit tous les jours traîner et assis sur les Vélib’ en stationnement. Dans c'quartier bobo, on sent des regards, des hésitations, des envies, mais pas d’insultes (comme dans mon quartier d’La Chapelle). Ils se tiennent – au cœur d'Paris – conscient du privilège. Mais pas aujourd'hui. Je dis : « Mais alors, ils sont faciles à r’trouver... »

L’après-midi du lundi, j’n’ai rien sur mon agenda, alors je n’me souviens plus de ce que j’ai fait ou penser ou aimer. Je sais qu’le soir, j’suis allé voir le film sur Pina Bausch et les adolescents avec Pierre Courcelle. Alors, Pierre Courcelle, pour ceux qui lisent un peu mon blog, est un personnage connu. C’est mon ex, en fait, en c’moment. On a essayé d's’aimer pour de vrai. J’avais quitté ma copine Hélèna Villovitch parce que j’étais tombé amoureux d’un blog. L’une des écritures les plus sidérantes que j’ai rencontrées de ma vie, comme disait Marguerite Duras (parce que beaucoup de choses lui arrivait, n'est-ce pas, à la mesure de sa vie entière, comme ça). Et donc, pendant deux mois, j’ai été amoureux d’une écriture – celle d’un garçon – et j’couchais avec ma copine. Ça m’allait très bien, mais, au bout d’un moment, Hélèna en a eu vraiment marre. Elle m’a dit : « Je préfér’rais que ce soit l’contraire : que tu couches avec lui et que tu sois amoureux de moi ! » Ah, là, là, les femmes...

Maintenant, nous allons au cinéma et ils nous arrivent de boire de la vodka comme de vieux amis et de dormir. C’est c’que nous avons fait cette nuit-là de lundi à mardi qui fut courte parce que Pierre se lève toujours vers six heures pour aller au Ministère de l’Education – il est haut fonctionnaire – et, moi, j’partais à Bruxelles visiter des salles et auditionner des jeunes. J’ai passé deux jours à Bruxelles, mardi et mercredi, comme j’avais passé la semaine dernière deux jours à Lausanne pour la même action, préparer un spectacle. J’adore mon métier ! Et j’adore, en ce moment – je m’suis fait la réflexion –, j’adore la Suisse et la Belgique ! J’me suis demandé pourquoi… Oh, la raison est simple : il s’agit du décentrement. Ça m'décentre de Paris-centre. Et, de toute façon, Paris vous reprend dans ses rets à la première occasion, n'est-ce pas, Laurent ?

Jeudi matin, hier, je me lève encore tôt pour prendre un cours particulier de la technique Alexander avec Luigia Riva avant celui de Wayne Byars. La première fois qu'j’ai vu Claire Chazal au cours, j’ai failli m’évanouir. (C'était mieux que Catherine Deneuve !) J’ai immédiatement envoyé à Hélèna un sms où j'lui disais : « Devine qui y a au cours », et j’lui mettais les lettre Cl et Ch. Elle m’a répondu : « Claude Chabrol ? » Paix à son âme ! S’il avait fait plus de danse classique plutôt qu'de s’empiffrer avec Gérard Depardieu, il aurait certainement vécu plus vieux ! Après le cours, j’ai d'nouveau déjeuné au Café Divan. C’est ma cantine, c’est très bon, il y a du bon vin. 60, rue de la Roquette. J’ai déjeuné avec un comédien que j’avais eu en stage en juin. Le stage, je l'avais intitulé : Jouer Dieu. Ça a ameuté tout un tas de merveilleux comédiens, un titre pareil ! Bon, j’ai fait quelques courses, pressing, j'suis rentré. C’est dans l’après-midi qu'j’ai reçu un p'tit message de Laurent Goumarre me proposant d'passer à la FIAC, le lendemain, faire coucou aux auditeurs. J’ai donc rêvé à tout ça et j’ai écouté son émission. Hier, Laurent Goumarre recevait Jean-Pierre Marielle. A un moment, Jean-Pierre Marielle n’a plus r'trouvé le nom d'Claude Régy. Il a dit : « J’avais « régisseur », mais… » Ça l’a fait rire un peu. J’ai écouté Jean-Pierre Marielle parler du Claude Régy des années soixante. C’’tait émouvant parce que, pour faire court, j’ai bien connu Claude Régy, le Claude Régy des années quatre-vingt – pour faire court – et c’’tait émouvant parce que Claude Régy est toujours parmi nous, toujours vivant, c'est ça qui est émouvant dans la vie : parfois, ceux qui restent un peu plus longtemps qu'les autres traversent les époques. Après l’émission, j’ai visionné « L'Grand Journal » en léger différé sur Internet. Bruno Le Maire, le ministre de l’agriculture y était parce qu’il a écrit un livre qui se présente comme une lettre à son père. Et c’ministre un peu pessimiste, un peu catholique, peut-être, en tout cas avec des états d’âme, a cité Thomas Bernhard, une phrase qui disait quelque chose comme : « J’ai aimé mon grand-père parce que, dans sa vieillesse, il m’a aidé à rester jeune. » C’est à ce moment-là que j’me suis souvenu que j'n’avais pas encore appelé mon père (Bernard), en clinique de réadaptation après un quadruple pontage. J’ai beaucoup fait jouer mon père dans mes spectacles parce qu’il a un don merveilleux. D’ailleurs, la première fois que j'l’ai eu au téléphone, quand c’problème lui est tombé d’ssus, il m’a dit : « J’aurais pu mourir en scène ! » et j’lui ai répondu : « Ah, ça, ç’aurait été bien ! » Moi, j’ai tout eu, en scène, des gens qui pissent, beaucoup, qui chient, qui pleurent à Marseille, en érection à Lausanne, un qui vomit à Bruxelles, mais, mourir en scène, je n’l’ai pas encore eu ! Alors, rétablis-toi, cher papa, je sais que tu m’écoutes, je te veux pour mourir en scène !

Vendredi, rebelote, recours de danse avec Claire Chazal. Ma vie parisienne est d’un ennui, d’un monotone… Mais, c't après-midi, j’ai rencontré Jean-Michel Ribes au théâtre du Rond-Point. C’’tait à dix-sept heures. Ça tombait pile poil, cette proposition d'la FIAC, parce que c’est juste à côté. Je ne vais pas maintenant vous raconter la teneur d'c'rendez-vous avec Jean-Michel Ribes (on prépare un gros coup, tout ce que j’peux dire) parce que ce texte – j'suis désolé de vous l’dire : c'n’est pas du direct. Ce texte, il a été écrit hier, en fait, et, comme disait Nicolas Sarkozy au « P'tit Journal » : « Le monde change tellement vite, Marie-Ange ! »



L G : Merci, Yves-Noël Genod. Mais qui est cette Marie-Ange ? Ils ont coupé juste avant, on n'a jamais pu savoir qui c'était...
YNG : Un ange...

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