Wednesday, June 29, 2011

« Nom d’une pipe, tu l’as dit ! »


Dijon, je vois le héron. Je ne peux pas m’empêcher d’écrire. Je pense beaucoup à DSK. Il ne pouvait pas s’empêcher d’activer en permanence son cerveau. Dès qu’il attendait – il devait attendre souvent dans les aéroports – des jeux, des jeux, des jeux… L’ennui, c’est terrible. Je ne sais pas ce qu’a prévu Dieu pour contrer l’ennui. L’alcool, ok, l’écriture, ok, l’ordinateur, ok. Quand j’écris, je ne vois rien. Je vois la falaise, la rivière… Je vois une ville un peu dispersée parmi les nuages. Je vois un paysage de tunnels presque urbain. Je vois des façades avec des volumes, des boîtes. Je n’ai pas de papiers d’identité sur moi, je vais en Suisse.

Dijon repart… Je suis dans le train. Le train qui ne mène nulle part (je vais être refoulé à la frontière). Je longe le canal. Le canal de Dijon. Je vois les volumes, les maisons, les espaces à l’intérieur, je les sens. Je vois les tas de décharge, les espace pleins (les grands brasiers). Je vois l’espèce humaine engoncée dans des T-shirts, des vêtements, je vois les cultures pour se nourrir… on a bien rasé autour de Dijon, c’est déjà les récoltes. Il reste quelques oiseaux dans ces plaines immenses, témoins.

Je vois les feuilles, certaines feuilles des arbres, grouillantes, fourmillantes… Je vois l’expérience, l’expérience fausse de l’écriture… Je lis un peu – pas dans le paysage – sur l’éthique, l’esthétique… « …l’antique conflit de l’éthique et de l’esthétique ou, si l’on veut, de la théologie et de l’esthétique. » Les livres rendent les choses infiniment moins belles, je voudrais arrêter l’écriture. Une femme en a remplacé une autre. Je fais mes mises en scène dans le réel. Incroyablement belle. (Mais on pourrait dire immonde.) Le garçon, à côté, n’a pas d’âge.

« De Plotin, on rapporte qu’il était presque honteux de vivre dans un corps, et qu’il ne permit pas aux sculpteurs de perpétuer ses traits. Un ami le priait une fois de se laisser portraiturer. Plotin lui dit : « Il me fatigue assez de devoir traîner ce simulacre où la nature m’a emprisonné. Tolérerai-je en plus que se perpétue l’image de cette image ? » »

Il y a un infini. Il y a un infini des mots aussi dans le réel. Dole. Le train repart avec cette sensation que le train n’arrivera jamais. Le TGV à destination de Lausanne. Le train ne repartirait pas. Je regarde chaque caillou du ballast. Comme chaque caillou est joli, précieux, particulier. Cette couleur infinie. Les gris neufs du ballast neuf. Les anciens sont marron, je ne les avais pas remarqués : ils sont très beaux aussi, ils sont même mieux, salissants, vivants, je les contemple un à un, ils sont très nombreux. Je vois aussi l’herbe sur les pelouses. Brin par brin. Je vois les arrangements, comme tout le monde s’est arrangé pour prendre la place. Moi, je vais être refoulé à la frontière. C’est un fait. En attendant, le train qui ne mène nulle part rentre dans la poussière des feuilles. Je témoigne.

« Dans le cours d’une vie consacrée moins à vivre qu’à lire, j’ai souvent vérifié que les buts et les théories littéraires ne sont rien autre que des stimulants et que l’œuvre finale généralement les ignore, quand elle ne les contredit pas. »

La Suisse risque de disparaître sur la carte. Il fait mauvais. Ça se couvre, ça s’efface. Le lac doit transpirer. Voulez-vous être riche ? Dernière vision : un champ de tournesols tournés n’importe comment, dans tous les sens. Il y a ces barrières, ces murets… ces tas de pierre, ces rondelles… Il y a ces petites maisons particulières, amicales, éphémères. Les lignes du train sont souples, souples, toutes droites. Je vais repartir dans l’autre sens. Je n’irai pas en Suisse aujourd’hui. Ce sera un soulagement, en un sens. Je suis fatigué. Il y a les bêtes, les diplodocus. Fatigué, fatigué et je m’adresse à Dieu : sauve-moi ! Sauve-moi de l’ennui, sauve-moi de l’écriture ! Le train ralentit, ralentit tant et tant, c’est pluvieux dehors, ça doit glisser…

Dieu efface la Suisse d’un seul geste. Il a exhaussé mon envie.