Tuesday, February 14, 2012

L’Amour du prochain




Dominique Chauvin
Dans les quelques spectacles que j'ai vus de toi (et certainement dans les autres), tu te tiens toujours sur le fil du rasoir. Déjà, lors de la répétition à laquelle j'ai assisté à la Ménagerie de verre, je m'étais dit que leur nudité nous rendait encore plus conscients de la vulnérabilité des comédiens. On le sait bien, mais, là, tu le rends tangible. J'ai eu le sentiment que notre fonction à nous, public, était de créer autour d'eux une sorte d'enveloppe protectrice et amicale. Et j'avais un peu peur aussi, à l'idée qu'il suffirait d'une réflexion venant d'un spectateur mal luné, ou de quelques rires trop appuyés provoqués par l'angoisse, pour qu'elle se rompe. Alors, que dire de La Mort d'Ivan Ilitch où Thomas était seul en scène, dans le froid glacial qui régnait ces derniers jours ? Je retenais mon souffle, suspendue à son chant fragile, à ses gestes, et dans la crainte aussi de quelque anicroche pouvant survenir dans la salle... C'est cette tension même qui rendait ce spectacle si beau.

Dominique Chauvin
Du coup, on passe un peu sous silence l'envoûtante lecture de Rimbaud.

Yves-Noël Genod
C’est-à-dire, peut-être, en effet, que les spectacles doivent donner l’impression de la fragilité, du démuni, que l’acteur, pas tellement parce qu’il est déshabillé (mais aussi), mais surtout parce qu’il se présente « les mains ouvertes » (« Il est sans limites, le cœur ouvert, les mains ouvertes, la cabane vide, la valise vide et personne pour voir qu’il est idéal », dit Marguerite Duras dans L’Amante anglaise) est aussi vulnérable que les plus bas le sont dans notre société (« civilisation », comme dit Claude Guéant) ou dans celles du tiers-monde. Mais il faut que l’acteur ait conscient de sa force aussi. Parce que c’en est une, en fait, surnaturelle. Que Rimbaud appelle « la charité ». Une force de prince. Je ne demande pas que l’acteur vive chaque soir une expérience mystique de transformation de la mort en lumière, de la haine en amour, bien sûr que non, mais je demande qu’il la joue, cette expérimentation, nous sommes au théâtre, nous devons jouer à ne pas jouer autre chose (à ne pas jouer la haine, la mélancolie, le désespoir, la misère, ô sorcières, etc.) Pour moi, le sens du théâtre est strictement l’amour. Ne pas jouer cet amour, c’est une faute professionnelle. Et pour quoi d’autres inviter les gens ? L’acteur-prince a une force, il est maître de cérémonie. Bien sûr, il ne doit qu’indiquer que le spectateur a cette force aussi. Merci Dominique !

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