Saturday, November 10, 2012

Une page recopiée pour Lucien et pour Erwan


« Claude Shannon était un jongleur réputé. De nombreuses anecdotes le représentent en pleine activité sur un monocycle, dans les couloirs du MIT. Inventeur infatigable, il fabriqua plusieurs automates simples capables de jongler, avant d’imaginer, en recouvrant des massues et des anneaux avec du papier d’aluminium conducteur, un protocole expérimental permettant de quantifier l’art du jonglage. Shannon put ainsi faire entrer cette pratique dans le champ des sciences expérimentales. Il découvrit par exemple que le produit du nombre d’objets par la somme de leur temps de suspension et de leur temps de repos dans la main devait être égal, pour un jonglage réussi et rythmé, au produit du nombre de mains par la somme de leur temps de vacance et du temps de repos des balles : (F+D)H = (V+D)N. Il est remarquable que l’appareil sensori-moteur soit capable de résoudre presque instantanément des équations à variables si nombreuses – peu avant sa mort, survenue en 2001, Shannon, très diminué par la maladie d’Alzheimer, parvenait encore à jongler. Il avait eu un jour cette phrase mystérieuse : « La prochaine fois que vous verrez un jongleur, regardez bien ses mains : elles portent un message. Dans la symétrie presque parfaite des mains, les balles semblent échapper à l’univers de la physique classique. Elles ne se comportent plus comme des objets ordinaires, mais comme des abstractions mathématiques ; elles décrivent moins des courbes paraboliques que des graphes insensibles à l’attraction terrestre. Les mains du jongleur ne s’échangent pas des balles, mais des informations. Elles tentent d’amorcer les algorithmes aériens du mouvement perpétuel. Shannon était fasciné par la robustesse du jonglage : passé un court temps d’apprentissage, les balles et les mains pénètrent dans une structure cristalline située hors du temps et de l’espace, dont la fragilité pourtant évidente dissimule une organisation complexe et autonome. Le jongleur tient alors un monde entre ses mains. »

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