Tuesday, February 14, 2012

Princes


Photo François Stemmer. Charles Zevaco.

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L’Amour du prochain




Dominique Chauvin
Dans les quelques spectacles que j'ai vus de toi (et certainement dans les autres), tu te tiens toujours sur le fil du rasoir. Déjà, lors de la répétition à laquelle j'ai assisté à la Ménagerie de verre, je m'étais dit que leur nudité nous rendait encore plus conscients de la vulnérabilité des comédiens. On le sait bien, mais, là, tu le rends tangible. J'ai eu le sentiment que notre fonction à nous, public, était de créer autour d'eux une sorte d'enveloppe protectrice et amicale. Et j'avais un peu peur aussi, à l'idée qu'il suffirait d'une réflexion venant d'un spectateur mal luné, ou de quelques rires trop appuyés provoqués par l'angoisse, pour qu'elle se rompe. Alors, que dire de La Mort d'Ivan Ilitch où Thomas était seul en scène, dans le froid glacial qui régnait ces derniers jours ? Je retenais mon souffle, suspendue à son chant fragile, à ses gestes, et dans la crainte aussi de quelque anicroche pouvant survenir dans la salle... C'est cette tension même qui rendait ce spectacle si beau.

Dominique Chauvin
Du coup, on passe un peu sous silence l'envoûtante lecture de Rimbaud.

Yves-Noël Genod
C’est-à-dire, peut-être, en effet, que les spectacles doivent donner l’impression de la fragilité, du démuni, que l’acteur, pas tellement parce qu’il est déshabillé (mais aussi), mais surtout parce qu’il se présente « les mains ouvertes » (« Il est sans limites, le cœur ouvert, les mains ouvertes, la cabane vide, la valise vide et personne pour voir qu’il est idéal », dit Marguerite Duras dans L’Amante anglaise) est aussi vulnérable que les plus bas le sont dans notre société (« civilisation », comme dit Claude Guéant) ou dans celles du tiers-monde. Mais il faut que l’acteur ait conscient de sa force aussi. Parce que c’en est une, en fait, surnaturelle. Que Rimbaud appelle « la charité ». Une force de prince. Je ne demande pas que l’acteur vive chaque soir une expérience mystique de transformation de la mort en lumière, de la haine en amour, bien sûr que non, mais je demande qu’il la joue, cette expérimentation, nous sommes au théâtre, nous devons jouer à ne pas jouer autre chose (à ne pas jouer la haine, la mélancolie, le désespoir, la misère, ô sorcières, etc.) Pour moi, le sens du théâtre est strictement l’amour. Ne pas jouer cet amour, c’est une faute professionnelle. Et pour quoi d’autres inviter les gens ? L’acteur-prince a une force, il est maître de cérémonie. Bien sûr, il ne doit qu’indiquer que le spectateur a cette force aussi. Merci Dominique !

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Vincent Dedienne
Petit diable,
Bravo encore pour ta descente en enfer. Tu es absolument moderne, illuminé, suave, bien coiffé et bien oxygéné. J'étais transporté, je n'aurai pas voulu manquer ça. Je me rends compte que, depuis le stage, je parle de toi partout autour de moi, j'ai comme l'envie de partager un beau secret (« il faut que les secrets circulent », qui a dit ça, quizz ?!), mais je vais bientôt m'arrêter et ne plus trop te partager.
Je regrette que tu sembles atteint par la dernière d'Ivan, je ne sais pas ce qui s'est passé, on ne comprend pas tout sur Internet, mais si tu es bas d'humeur, genre chaussettes, je t'encourage au rebond et te souhaite une sortie de l'hiver immédiate.
Je t'embrasse.
Vincent







T’es adorable, Vincent ! Pour la dernière d’Ivan, allez, encore une fois, mais c’est la dernière aussi que j’en parle ! Il y a que Thomas Gonzalez est à la fois le créateur de La Mort d’Ivan Ilitch, le spectacle n’existe que sur lui, pour lui, par lui et avec lui – et son destructeur. Il peut le créer et il peut le détruire. Il n’a pas encore choisi. Encore tout à l’heure – au restaurant du Rond-Point – un jeune homme vient me voir, me dit qu’il n’a pas aimé dimanche, mais qu’il en a parlé à midi avec Jean-Michel Rabeux et qu’il a l’impression de ne pas avoir vu le même spectacle, il voulait des éclaircissements. Les éclaircissements, c’est que ce n’était, en effet, pas le même spectacle ou, si on veut, le même spectacle créé et détruit. Jean-Michel Rabeux a adoré qqch qui était en effet d’une extrême beauté, qu’il a eu raison, lui, le jeune homme de ne pas aimer dimanche. Mais il faut que j’arrête d’en parler, ça me saoule. Je lui ai dit que j’avais interrompu une représentation de ce même spectacle à Lausanne parce que je croyais que le problème venait du public. C’est la seule fois de ma vie que j’ai fait ça. Il était au courant de Lausanne, une copine à lui le lui avait raconté. (Le problème, c’est que ces choses se savent.) Là, je savais que le problème venait de l’acteur seulement, mais je ne pouvais encore une fois pas le croire ! Thomas Gonzalez aime tellement ce spectacle, il veut le jouer encore et il se fait avoir par ce qu’il faut bien appeler un autre en lui, l’inconscient. Qu’aurais-je pu faire ? Aller sur le plateau et lui chuchoter à l’oreille : maintenant tu recommences et tu joues vraiment le spectacle que nous avons répété, tu ne fais pas autre chose sinon… sinon quoi ? J’ai été fasciné par cette destruction, tétanisé, je ne suis pas du tout équipé pour m’occuper de tels problèmes, je ne suis pas psy, je ne suis pas Claude Régy non plus, je ne supporterais pas, par exemple, d’avoir à gérer l’alcoolisme de Jean-Quentin Châtelain (cause de l’arrêt de la tournée d’un spectacle brillant). Tiens, je vais l’appeler, Claude, pour parler de ça, il me dira. Le problème que j’ai, c’est que c’est un de mes plus beaux spectacles, c’est sublimissime quand Thomas le fait bien (et même plus que bien) et que c’est le pire de mes spectacles quand Thomas le fait mal. Que faire ? Le spectacle ne se fera sans doute plus (malgré son très faible coût, sa beauté et les propositions qui pouvaient arriver…) – parce qu’il y a vraiment un risque – que Thomas ne maîtrise pas.

Je t'embrasse ! Voyons-nous plus souvent partager des secrets ! (Nous sommes voisins si j'ai bien compris...)

YN

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