Friday, March 23, 2012

L’Espièglerie du divin




« Toute expérience est là pour confirmer ce qui est et puis elle se retire »

Cette sagesse extrême, je l’avais gravée dans mon carnet car c’était la nuit sans stylo. Aucun stylo ne marchait. Alors, quand j’eus accepté de ne faire qu’écouter sans prendre de notes – à l’ancienne –, je réussis quand même à graver dans mon carnet cette phrase qui disait quoi ? exactement ce dont j’avais à apprécier, ce dont j’avais à remercier : l’expérience de Chic By Accident, bien sûr, n’était plus, avait confirmé « ce qui est », s’était retiré (au ciel). C’était clair aussi, ce soir-là, en écoutant, qu’il s’agissait d’une religion. Oui, c’était le même plaisir que celui qui venait du Chic By Accident : une communauté, une communauté réunie, réunie pour rien, se relier. Pour l’agrément de sentir l’immense espace, « comme un hamac », avait dit Pamela, et que nous étions cet espace, nous-même, que nous étions le hamac, cette ouverture, que nous étions l’ouverture qui nous berçait. Pour sentir l’immense espace que nous étions nous relier, nous bercer, la « compassion » – « La Charité est cette clef », avait écrit Rimbaud – aujourd’hui quelqu’un avait parlé de la nécessité pour lui d’avoir des repères, une boussole. « Boussole ? », avait demandé Pamela. Compass, en anglais. Pamela avait repris : « In English, « compass » is short for « compassion » » Tout s’éclairait. J’avais essayé plusieurs stylos, chute d’encre, panique d’encre. Il y avait bien un pot qui en était rempli, de stylo, juste sur la droite de Pamela, posé sur un rebord, comme un pot de miel, mais je n’allais jamais osé franchir l’espace de ces quelques mètres (je n’étais pas ceinture noire). J’avais demandé à Dominique, à mon côté, qui avait cherché dans son sac très éloigné qu'il avait d'abord fallu trouver, puis à Marc, derrière, arrivé de Arras. Dominique et Marc étaient là, Marc un peu en retard, donc, parce que, la veille, aux Beaux-Arts, au Flore, à La Fémis, aux cafés sans nom où nous nous étions retrouvés après la projection, sur des terrasses, dans ces outskirts de la ville – il y avait ce baroudeur de Nottingham très beau, hâbleur, qui s’appelait Sole, « Comme le poisson ? », il montrait sa chaussure, sa semelle de chaussure –, j’avais parlé de Pamela, de ce que disait Pamela, la veille, de ce que j’avais pris en notes et sûrement j’avais dû dire comme ça me rappelait ce que j’aurais aimé continuer à dire aux acteurs avant de jouer, aux spectateurs aussi, de Chic By Accident. Curieusement, Dominique et Marc, enchantés d’ailleurs, avait cru que je parlais d’un spectacle, d’un autre spectacle que le Chic By Accident, ils s’attendaient à venir voir un spectacle. (C’est moi, probablement, qui vois tout en spectacle…) « – Mais, enfin, quand tu m’as demandé où ça se passait et que je t’ai dit dans un appartement… – Ben, oui, mais il peut y avoir des spectacles d’appartement. » Marc et Dominique qui étaient rentrés ensuite, comme deux amoureux d'une soirée d'été, comme pour un après-spectacle, au restaurant sous le porche qui s'appelait Le 1728, « …dans les salons restaurés de l’hôtel Mazin La Fayette, édifié en 1728… », je les avais croisés chaque jour, ces quelques temps de l’équinoxe, je me demandais ce qu’ils faisaient de leurs enfants (cinq) pour être, comme ça, libres comme des jeunes mariés. Des nurses, probablement – le petit n’avait que dix mois – dans l’immense paquebot cinématographique amarré à la tour Eiffel, royaume profond, secret pour des enfants perdus dans la forêt molle d'une moquette épaisse… J’avais réussi à graver encore une autre phrase (que j'allais sûrement faire apparaître, plus tard, en noircissant la page au crayon à papier) :

« Le divin aime à être ordinaire, c’est beaucoup plus intéressant que d’être divin »

Et puis aussi :

« Peut-être qu’on pourrait laisser la vie être elle-même »

« Laissez-la danser »

« Même le chaos, c’est ça »

Et encore :

« En fait, on peut remarquer que c’est la résonance qui est la vie, c’est pas une personne »

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