Wednesday, March 28, 2012

B. (Bologne)

« C’est une ville toute enrichie de beaux et larges portiques et d’un fort grand nombre de beaux palais. »







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Mes reines




De retour de Bologne, je loupe la reprise de Jachères (avec Eric Martin !) à la Ménagerie de verre, mais, d’un coup de Vélib’, je rejoins la représentation de La Maison de la force, d’Angélica Liddell, à l’Odéon. J’arrive juste au moment du second entracte et, sur les marches sous la colonnade, je tombe sur Jeanne Balibar et Valérie Dréville. Elles sont abasourdies. Valérie me dit gentiment qu’elle a pensé à moi, vraiment !, elle m’entendait dire « Très bien ! », « Magnifique ! »… Moi, j’ai pensé à elle avec ce chef d’œuvre, à Bologne, de Niccolo dell’Arca, au XVième siècle, dans l’église Santa Maria della Vita, Compianto sul Cristo morto, sculptures de femmes dans la douleur, en terracotta, grandeur nature, hyper réaliste, que non seulement j’ai pensé seule Valérie pourrait jouer, mais qui lui ressemblent aussi physiquement (je le remarque encore). C’est François Tanguy qui m’avait fait découvrir ça, c’est le chef-d’œuvre de Bologne que curieusement Silvia ne connaît pas (et chaque fois que je veux l’y emmener, elle ne veut pas). Chaque fois que je suis à Bologne, j’y passe. Et je suis à Bologne souvent, finalement. D’un coup d’avion comme on monte dans le bus, j’y suis. Au retour, cette fois-ci, j’étais près d’un hublot, le temps était superbe et nous avons survolé les Alpes. C’est comme inoubliable ce qui m’est arrivé aujourd’hui. Les Alpes. Toute comprises. Toute comprises par la vue. Toute embrassées, la blancheur. La blancheur absolue. Ce jour-même, j’avais lu un poème sur les Alpes, du début du XVIIième siècle français. Je découvre tout un pan de poésie française que je ne connaissais pas : la poésie baroque. Je croyais que Verlaine, Mallarmé et Rimbaud avait tout inventé, en fait, non, ils ont copié. Dans la salle sublime, je suis assis juste derrière Jeanne et Valérie. Mes reines. On sent tout de suite l’atmosphère incroyablement ouverte de la représentation, on se sent comme en plein air. C’est fou ce que cette femme (Angélica Liddell) est capable de faire, ça n’a l’air de rien, ça change la perception, plus que ça, ça change l’air de la perception (on ne sait pas ce que l’on perçoit ni même si l’on perçoit, mais on se sent être, une résonance). C’est fou, c’est que de l’espace, que de la résonance. J’avais mes deux reines devant moi, cela m’aidait. Sur la terre ronde comme une étoile. C’était une journée où j’avais vu les Alpes (en avion) et où j’avais lu ce poème (du XVIIième) sur les Alpes :

Ces atomes de feu qui sur la neige brillent,
Ces étincelles d’or, d’azur et de cristal,
Dont l’hiver, au soleil, d’un lustre oriental
Pare ses cheveux blancs que les vents éparpillent.

Ce beau coton du ciel de quoi les monts s'habillent,
Ce pavé transparent fait du second métal,
Et cet air net et sain, propre à l'esprit vital,
Sont si doux à mes yeux que d'aise ils en pétillent.

Cette saison me plaît, j'en aime la froideur;
Sa robe d'innocence et de pure candeur
Couvre en quelque façon les crimes de la terre.

Aussi l'Olympien la voit d'un front humain ;
Sa colère l'épargne et jamais le tonnerre
Pour désoler ses jours ne partit de sa main.


(Saint-Amant)






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Pierre redonne de ses nouvelles d'amoureux fidèle




Tu as vu le texte de Pierre ? Il est magnifique…

Ah oui, j'avais pas lu, oui, c'est beau ! Qu'est-ce que je l'ai aimé, ce garçon, quand même (je veux dire, qu'est-ce qu'il était aimable...)
On se voit demain soir, au dîner ?

YN






Considère, mon amour...

« Endormons-nous. Si vous êtes désenchanté et triste c’est peut-être que vous avez bien travaillé ? Travaillé, en tout cas. Dormons, reposons-nous. Demain la puissance sera revenue. Ne vous inquiétez pas. Eh, regardez le ciel et cherchez Vénus, elle est là, elle vous regarde, je lui ai demandé de prendre soin de vous ! »

Olivier Steiner, Bohème



Il faudrait que je lui trouve un nom d’emprunt car je ne veux pas la nommer ici de son prénom composé, qui est la Sainte Vierge et la Nativité tout ensemble. Elle parlait ce matin de l'Histoire des chambres de Michelle Perrot et me disait que beaucoup d’auteurs écrivent dans leur lit, ce qui me fit penser à Yves-Noël, qui sans doute écrit toujours allongé sur son matelas posé à même le plancher – a-t-il changé la disposition de son lit de fortune, de sa table, de ses chaises, dans cette chambre de bonne où je n’ai pas mis les pieds depuis longtemps… je me souviens du numéro huit de la rue Jacques Kablé, de la rue du Département non loin de là, qui est le nom ancien du départ, je me souviens vaguement du digicode, mais assez précisément de l’entrée, des marches gravies d’un pas où le cœur battait, de la porte métallique au sommet de ce que je me plaisais à appeler le donjon quand son seigneur était mon maître, lui qui ne m’entendait pas toujours frapper – et l’attendant je regardais les piles de livres qu’il accumulait sur le pallier quand il n’en voulait plus chez lui –; il m’ouvrait pour une nuit dont je me sauvais dans la fraîcheur de l’aube, traversant le pont jeté au-dessus des rails enchevêtrés qui poursuivaient leur course jusqu’à la Gare de l’Est qu’on distinguait au loin, puis la courte rue Caillie et à droite le boulevard de La Villette, et enfin le métro à Stalingrad.

Ce matin il y avait cette qualité de l’air que seuls possèdent les matins du printemps et qui me rappela le chemin de l’école communale, qualité de l’air – mais sans l’humidité communiquée par la terre nue de la campagne, cet air humide et frais que les rayons du soleil comme à peine sorti de sa gangue n’ont pas encore asséché et qui s'exprime en rosée sur les herbes qu'on foule – et qualité de lumière aussi, comme un trouble du réveil, les paupières gourdes et irisées de l'enfant dont chaque réveil était encore trop neuf pour que j’admisse la certitude de devenir un jour cet adulte qui ne connaîtrait plus ces matins-là, pareils, dans mes rêveries d'enfant, à ceux des siècles passés qui avaient pour moi la forme idéale de la tourelle octogonale ornant le château du village, la façade ravinée d'une vieille ferme rue Henri Maurice, les statues polychromes de Saint Sébastien dans le choeur de l'église et de la Vierge Marie debout sur l'orbe terrestre, ou cette Vierge dite « de Bonne Espérance » qu'on trouva au coeur d'un chêne et qui guérissait les malades, ou cette abbaye de Petite-Forêt dont il ne restait qu'un pan de mur, ou cette Fête de la Rose où l'on célébrait les jeunes filles du village que le dur labeur n'avait pas encore abîmées, ou encore ces noms de lieu exprimant les travaux et les jours: rue du Moulin, rue du Bois, et ce quartier du Marais d'où la fange avait disparu parce qu'on avait assaini les terres par je ne sais quel miracle technique.

Rue de Bourgogne, ce matin, c’était la minéralité de la ville où je demeure un intrus bien maladroit, cet air frais plein de la renaissance d’une nature absente auquel les promesses de chaleur méridienne donnaient la grâce de ces deux garçons qui passèrent, le premier à l’angle de la rue Las Cases – je remarquai la finesse de son squelette, ses cheveux, ses jambes en cadence de ciseaux –, le second rue de Grenelle traversa la chaussée en biais, courut comme une fille jusqu’à l’impasse Martignac où il disparut – il ressemblait à ces films de la Nouvelle Vague que je n’ai pas vus; tous deux avaient la beauté des squelettes encore fragiles – c’est-à-dire proprement non ossifiés, comme les branches encore vertes avant l’aoûtement.

A la pause de midi je me fis couper les cheveux très court pour constater la forme de mon crâne et ma couronne de cheveux blancs.

Ce soir j’appelai mon frère Jérôme qui vient d’avoir trente-trois ans et qui a le nom du jeune héros dans le roman d’Olivier Steiner, Bohème. J’allai lire dans mon café habituel, place Henri Mondor. Une serveuse se plaignait pathétiquement à son collègue de ce qu’il lui réservait les tâches les plus ingrates. Des étudiantes s'installaient autour d'une table près de moi. Des gens très différents passaient, faisaient la queue. Dans ce café on croise des hommes et des femmes de toute condition. J'y ai vu Bertrand Cantat il y a quelque temps, dont l'oeil brillait magnifiquement. En buvant mon café au lait, j’écoutais et je reconnaissais les chansons d’un album de Lauryn Hill que je connais par cœur mais que je n’avais pas écouté depuis douze ou treize ans, quand j’habitais à Lille – je me souviens précisément du balcon où je l’écoutais, casque sur les oreilles, assis sur le sol de béton, accompagné d’une cigarette. En lisant Bohème, je pensais ce week-end aux Lettres de la religieuse portugaise à cause de l’intensité de la passion écrite, et aujourd’hui au Lys dans la vallée que bêtement je déforme en Lys dans la Silicon Valley, pensant inévitablement aussi à cet envahissement de l’amour que j’observais, étonné et passif devant l’écran de mon ordinateur, au mois de juillet 2006, quand ma correspondance avec R… devint un vertige et une servitude tout à la fois, une délivrance autant qu’un vain transport, le plus précieux des romans et le théâtre de toutes les illusions. Nous n’écoutions pas Tristan et Isolde comme les héros du roman d’Olivier Steiner, mais Hippolyte et Aricie, tout particulièrement la fin de l’acte II, au moment où Pluton demande aux Parques de mettre en garde Thésée, qui s’apprête à quitter les enfers pour retrouver les siens: « Vous, qui de l’avenir percez la nuit profonde… Parques, annoncez-lui son sort! » Et les Parques, à Thésée: « Où cours-tu, malheureux? Tremble, frémis d’effroi… Tu quittes l’infernal empire pour trouver les enfers chez toi. »

Cette nuit je suis triste de tous mes amours et dans mon lit j’écris, acte V d’Hippolyte et Aricie: « Bergers, vous allez voir combien je suis fidèle… »

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