Sunday, April 29, 2012

L’Afrique recouvre de l’eau



NuitdeParis, maintenant.
J’étais moi dans cet hôtel.
Je dormais bien. Je rêvais. Des cauchemars. Je me réveillais bien, tôt, le soleil en face parce que j’avais oublié de descendre le volet. Je me rendormais. Après déjeuner, une sieste. J’étais seul.


A l’aéroport, Marlène avait eu le mot qui m’avait fait rire : « Ah, mais c’était le spectacle des baisés d’la touffe ! »
A l’aéroport. Le bilan. Les bilans, tous les jours, toutes les heures, avec cette troupe, quoi penser, mais, là, disons, le bilan « provisoire ». C’est-à-dire final. La morale de l’histoire. Quoi penser d’un tel ou d’un tel. On ne va pas se revoir. De si tôt.

Un seul regret (massif), que César Vayssié n’ait pas pu se déplacer. Avec son génie, nous serions peut-être aller à Cannes ! Il aurait filmé en ville, il aurait filmé la scène d’horreur à six heures du mat’, Jonathan qui vomissait exprès à côté de la poubelle, puis qui mangeait son vomi, il aurait filmé les carabinieri qui réclamaient les papiers de tout le monde et menaçaient de nous embarquer au poste, dans le panier à salade, comme dans un clandé de la Prohibition – ou chez les nazis , il aurait filmé l’association de voile et sa dégustation de vin, et surtout l’ivresse sublime des déchets humains – mais si animaux, chaloupés –, il aurait filmé la vie, il aurait filmé dans la nuit, il aurait filmé l’accompagnatrice d’extrême droite (ou de l’UMP) qui ne voulait pas nous serrer la main de peur, sans doute, d’être contaminée par la délinquance ou le libertinage ou je ne sais quoi… Adelaide ne traduisait pas tout, Adelaide s’arrêtait de traduire parfois. Parfois, elle traduisait trop, aussi. Parfois, Silvia criait : « Arrête de traduire ! » Marlène nue sous son imper (enfin, en sous-vêtements, c’est plus cochon) en train de racoler dans le hall et se précipitant vers moi, affolée : « Ils veulent mes papiers, j’ai rien fait ! »

Je ne sais pas combien de personnes ont participé à ce projet. Je vais compter. Et en oublier. Le but était ceci : indifférencier le passage du spectateur à l’acteur, noyer le poisson. Tentative. Très réussie tant que nous répétions – jusqu’à l’arrivée des carabinieri – la superposition, les croisements comme l’eau et l’huile étaient parfaits, chacun à son affaire, le spectacle de la vie. Autant, égalité avec le dehors. Personne ne fait attention à rien, en ville, dans la rue (on ne pourrait plus vivre – ni vaquer à ses affaires), seul les « voyants », comme dit Rimbaud, attrapent les sensations : le spectacle à venir. Plus difficile avec les spectateurs – payants ! – qui n’ont peut-être que eu l’ombre de l’expérience… Qui sait ? L’adjoint à la culture de la ville de Bologne était enchanté (mais probablement bourré), il n’arrêtait pas de venir vers moi me couvrir d’éloges (ce n’est qu’au moment de partir qu’il s’est présenté : « Je suis l’adjoint à la culture de la ville de Bologne et je trouve ça, je vous le redis encore, extraordinaire ! ») Très bien pour Silvia, en tout cas !

C’est mieux, quoi. 
Comme si Holande était élu, ce serait mieux aussi. 
Pour Silvia. 
Moi, je m’en fiche un peu de tout ça. Je vote contre Sarkozy. Vouloir à ce point le pouvoir, ça ne me donne pas envie de le lui donner, s’il l’aura, ce sera sans moi. 


Je fais exprès une faute car j’ai parlé tout à l’heure au déjeuner avec Jean Pierre Ceton, on a remarqué à quel point Marguerite Duras faisait des fautes de syntaxe, de grammaire, etc., qu’elle avait vraiment osées, c’est vrai… 


Donc je voulais parler de la famille, de tous ces gens qui ont participé. Il y avait les quatre « stars », Marlène, Jonathan, Kate et Thomas qui avaient pour mission de se faire remarquer (Thomas a failli faire tapisserie jusqu’au bout, il ne voulait rien foutre, mais s’est rattrapé in extremis avec le public, surtout le premier soir). Et puis il y avait Dominique Uber qui exécutait une partition mystérieuse et claire, visible, invisible, au rythme de la paupière, d’apparitions intimes, précises et non spectaculaires, qu’on surprenait comme à travers une fenêtre, et qui était venue avec son mari, Marc Pilpoul, délicieux avocat d’affaire, qui, lui, avait choisi, pour ses débuts, de réciter du Virginie Despentes (King Kong Théorie) affalé dans l’ascenseur bloqué une rose à la main (lui aussi voterait-il Hollande ?) 


Dans les gens qui étaient venus spécialement, répondant à mon invitation, il y avait bien sûr Philippe Frydman, le mécène, qui est resté toute la semaine et dont j’ai déjà parlé (pas ce soir, sorry, Philippe...), il y avait Kataline Patkaï en première classe Air France au frais du mécène (qui a aussi acheté la moitié du costume Armani de Thomas, les fleurs de Kate, le champagne pour tous les jours (sauf le dernier soir, « champagne italien »), des chaussures, corsages et je ne sais quoi à Kataline et qui voulait aussi offrir un cadeau à Jonathan, mais il a refusé), il y avait Jean Pierre Ceton, débarqué très tôt par l’easyJet que Dominique Issermann n’avait pas voulu prendre, mais, qui, lui, n’a pas joué.

Et puis il y avait les enfants, les sublimes Salvatore et Vittoria, trouvés sur place par Silvia, avec leur parents merveilleux, psy paraît-il célèbres (c’est à Bologne qu’est né le mouvement de l’anti-psychiatrie, je ne sais pas s’ils y sont liés…), Arfedele et Rafaella, ainsi que la psy personnelle des deux enfants, Teresa et ses deux chiens thérapeutes (ne me demandez pas leurs noms ce soir), très beaux, mais un peu hautains, genre : « On en a vu d’autres, nous connaissons notre affaire, rien ne nous surprend de la folie humaine, nous compatissons. » Et puis donc mon assistante (choisie par Silvia), la délicieusement bilingue, la fameuse « Adelaide » (je dis maintenant à l’italienne) qui a enflammé le cœur de Salvatore, accompagnée de ses enfants (qui sont aussi ceux de Frédéric Gustaedt, pour ceux qui voient), Léonard, 20 ans, timide portrait craché de Frédéric, très belle présence souriante, et Salomé, prête à tout, au contraire, comme son nom l’indique, très bonne dans les rôles genre L’Exorcisme, Ophélie, de silhouettes plus mortes que vives tirées de films d’horreur, se faufilant parmi la foule avec détermination et je-m’en-foutisme, qualités déterminantes chez une actrice... (Enfin, je veux dire : qualité suprême contre laquelle on ne peut rien : ne pas avoir peur.) Je ne parle pas, ce soir, de Vittoria, elle, extrêmement douée, il faudrait des pages… que j’écrirais sans doute. Il y avait en plus Alberto (je crois), le guitariste folk avec les cheveux du Christ, les travestis Paloma et sa copine (et leur chien). Et puis aussi Giovanni, bien sûr, l’Apollon, l’Ephèbe, L’Adonis sicilien et un ami (plus malingre, forcément), sans chien, mais qu’on n'a pas réussi à mettre au moins torse nu pendant la représentation, échec total, quant à Giovanni, si on connaît ce que j’ai déjà raconté, coitus interruptus de Kate et pétage de plomb de Jonathan… 


C’était très décadent, ce que nous avons présenté, très italien, très Dolce Vita. Tout le monde, il est là, tout le monde, il est une fête. Et puis il y avait qqch de sexuel, le fait de ne devoir choquer personne rendait un son sexuel, un débordement contenu, catholique (d’ailleurs, la scène de nuit déjà décrite). C’est Arfedele, le psychiatre qui ressemble à Freud, figure paternelle qui a fait l’unanimité parmi la troupe très exigeante, un sans faute, qui en a le mieux parlé. En me disant au-revoir, il a pris le temps de me dire pourquoi il avait apprécié la semaine passée ensemble, moi, dans mon insouciance, lui de la hauteur de ses livres, de l’immense amour pour ses enfants et de sa compréhension du genre humain. Ce qu’il a trouvé remarquable, au moment de me saluer, c’est que l’imaginaire, cet autisme, a eu une place comme réelle. Adelaide me reprécisera si je me trompe. Je crois que c’est ce qu’il a dit. En effet, il y a un thème qui est apparu très clairement surtout le dernier soir, c’est l’autisme, l’autisme comme une place réelle et réellement libre. C’est très compliqué. Mais on a frôlé qqch, là. 


« Un lieu où la folie est possible », comme dit Leslie Kaplan. 


C’était très étrange à diriger, ce spectacle. Tricky. Délicat. On ne peut être que là et laisser faire. Plus d’esthétique. Impossible de rien diriger, que voulez-vous ? Aucune protection, le monde. Pas de laboratoire – malgré les apparences du refermement de la présence du public. Impossible même, parfois (le deuxième soir), de regarder bien. Impossible de voir. Brouillage des limites. De la vue et de la mort. 

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Gare de Lyon



Salut Arnaud Cathrine, merci pour votre livre* que j’ai lu en l’air et à Bologne ! Il m’a impressionné et il reste très marquant, je veux dire, ces gens… Qu’est-ce qu’il est triste ! C’est terrible, ces histoires (ou ces non histoires) qu’il leur arrive, on voudrait les sortir de là ! Surtout le petit dernier, bien sûr, le pauvre… C’est presque insupportable pour moi, je dois dire, c’est pour ça que je suis heureux d’avoir lu ça dans des régions ensoleillées (le ciel, l’Italie) plutôt que dans la grisaille. Je ne voudrais pas en lire un autre de sitôt car je suis bouleversé par cette tragédie... Je n’ai qu’un mot devant tant de réussite : bravo ! 
A bientôt
Yves-Noël Genod







Merci pour ces mots, Yves-Noël. De mon côté, et après avoir beaucoup entendu parler de votre travail, j'ai hâte de découvrir ! Au Rond-Point alors ! Amicalement.

Vous avez bien fait de partir. Ici : gris sur gris. Anxiogène. Je file à la mer demain matin.






* Sweet Home


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Avec Salvatore


Photos Volha Lotchanka.

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Bonjour,


Je m'appelle Rémi Hollant et je suis actuellement élève à l'école supérieure du CNDC d'Angers en Formation d'Artiste Chorégraphique. 
Nous avons dans notre cursus, un « stage d'insertion professionnelle » à effectuer cet été et un second cet automne. 
On peut mettre tout et n'importe quoi derrière cet intitulé mais j'ai compris qu'il était préférable peut-être que nous nous approchions, en tant que « danseurs en puissance », de processus de création, d'étapes de travail plutôt que de suivre une tournée qui, au final, fait voyager mais peut-être moins réfléchir que des dispositifs de recherches dans ces temps de création donc. 


En parlant avec mes professeurs et responsables de mes envies et de ce qui me plaisait à travailler en danse, on m'a fortement orienté vers toi. 
Il est vrai que je m'intéresse aux questions de genre, mais également à toutes les possibilités de transgressions et subversions des normes qu'il est possible d'effectuer en art, sur un plateau etc. L'esthétique du kitsch, du pathétique ou ridicule empreints de connaissances/références pour amener à une certaine notion du sublime, mais aussi l'esthétique du fragile, sont des domaines que j'aime à travailler et questionner depuis que j'ai rejoint une troupe et un collectif lillois qui traitent de ces sujets. J'aime à questionner et osciller dans les limites en général, de ce qui est montrable, institutionnel, correct, etc. 
Je me trouve également à la rencontre du théâtre, de la danse, la musique, de la performance, bref, des arts en général pour arriver à cette notion d’œuvre qui est pour moi essentiellement construite de toutes ces rencontres entre les matériaux à la fois. 
Ainsi peut-être as tu le temps et/ou l'envie cet été ou cet automne pour que je puisse effectuer mon stage auprès de toi.


Bien à toi


Rémi






Eh bien, écoute, tout ce que tu dis me semble si sérieux et intelligent que je serais bien incapable d'en faire autant ! (Je ne suis pas allé à l'école.) J'ai donc très envie de te rencontrer et le plus tôt possible pour comprendre, moi aussi, nos affinités. Cet été, j'abandonne deux projets, Avignon (reporté) et la Suisse (délaissée), je ne donne qu'un stage fin août début septembre (jusqu'au 16), à Pontempeyrat, dans le Forez, un lieu que j'aime... Ensuite, grande liberté (ou absence de), pas de projets du tout contrairement à cette saison qui a été très pleine (reste le Rond-Point). Voyons-nous pour en créer ou bien je t'aiderai à t'orienter vers d'autres que moi. Merci pour le tutoiement très sexy !


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Plus rock que mort


Une scène épouvantable a eu lieu dans l’hôtel, qui ne m’a pas réveillé, ce qui m’inquiète un peu, j’espère que ce n’est pas la maladie de Lyme qui revient (il faudrait que je fasse le test). Jonathan est revenu à six heures du matin avec Kate et Giovanni, un éphèbe sicilien qu’ils avaient trouvé en boîte quelques jours avant. Jonathan est parti chercher trois verres de vins dans sa chambre et, au retour, a trouvé la porte de celle de Kate fermée ; c’est seulement à ce moment-là qu’il a compris que ça n’allait pas aller plus loin pour lui avec Giovanni, il avait pourtant réussi à l’embrasser dans le club, pour lui, Giovanni, c’était la première fois, disait-il. S’en est suivie une scène d’horreur où Marlène et Thomas, réveillés, essayait de limiter les dégâts – puis Kate sortie de ses ébats – vitre cassée, pot de fleurs lancé dans la cour, vomissure sur la moquette, vin sur la porte (les trois verres), menace de défenestration – Jonathan a aussi tambouriner sur ma porte en disant : « Tu vas voir, ton spectacle, demain, ce que je vais y faire… » Moi, je ne me souviens de rien, je n’y étais pas, je dormais, voulais dormir, je me souviens, oui, d’avoir pensé, probablement dans mon sommeil, qu’ils faisaient du bruit, cette nuit-là, quand même, les gosses… Kate a renvoyé Giovanni en plein milieu, il faut que tu partes, il faut que tu t’habilles, go ! just go ! Quand ils pensaient que Jonathan était assommé, il repartait de plus belle. Il sortait de sa chambre comme un diable quand on l’y ramenait. Le lendemain, le soir, quand je l’ai revu, Jonathan était toujours le même, adorable absolument…

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Voir Kate Moran heureuse


Kate est une fille qui peut avoir une certaine dureté car elle est angoissée. Or, en ce moment, Kate Moran est heureuse. Ça me bouleverse qu’elle le soit aussi dans mon spectacle. Elle y est merveilleuse. Lumineuse. D’une très grande beauté. Une transparence (qui confine à l’absolu). On ne la voit pas tellement elle est lumière. C’est cela, l’invisibilité. C’est cela, le message. Ne restera que la lumière.

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