Monday, June 25, 2012


« Toujours la vie s’invente. Un jardinier le sait. »

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Retour à la vraie vie

Photo Philippe Gladieux.

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Mont Saint-Michel

(Olivier Steiner)


Mon petit pan de mur gris

Pourquoi être heureux quand on peut être normal ? C'est le titre du dernier livre de Jeannette Winterson, lecture conseillée par Patrice. Je lis, j'aime beaucoup et, tandis que je découvre Winterson, ils sont dans la dernière semaine de Je m'occupe de vous personnellement. Dimanche prochain, dans quelques heures, ce sera fini, tout va disparaître. La salle Roland Topor va retrouver son gris bleuté et fini pour moi les exercices d'admiration. Cette dernière semaine ne parachève rien, au contraire, Yves-Noël recommence, de plus belle, c'est encore un nouveau spectacle, neuf comme tous les matins du monde. Je sens monter une vague de nostalgie, elle me prend à la gorge, je bois la tasse salée. La nostalgie n'est que l'angoisse du futur et l'appréhension du vide après le plein. Bientôt, dimanche en fin d'après-midi, dans quelques heures donc, un petit pan de ma vie – petit pan de mur jaune – va s'estomper, disparaître, s'évanouir. J'aurais vécu avec eux, les acteurs d'Yves-Noël, je les aurais aimés d'amour. Tant pis si on me trouve sentimental ou naïf, c'est l'amourre qui fait ça. Je crois que je n'ai jamais offert autant de fleurs qu'à Valérie Dréville, je crois que je n'ai jamais offert autant de pastèques qu'à Dominique Uber. Tous ensemble et chacun en particulier, je les ai caressés du regard, je les ai écoutés, tendrement contemplés. J'ai admiré Yves-Noël, je l'ai supporté, parce qu'il peut être infernal YVES-NOËL GENOD, infernal dans le sens que Duras donnait à ce mot, infernal comme est infernal ce qu'il a fait et tenu, tout seul pendant trois semaines, un spectacle différent chaque soir, mettre tant de liberté à la fois sur un plateau, gérer les fauves, ne pas leur couper les griffes ou les endormir. Je pense au premier spectacle de Rabeux que j'ai vu : Les Enfers Carnaval. Correspondances. Yves-Noël cite souvent Peter Handke : « Regarde le miracle, et oublie-le ». Je ne sais pas comment je vais oublier le miracle que fut ce spectacle mais, comme souvent quand j'ai un problème, je relis Proust : « L'oubli est un puissant instrument d'adaptation à la réalité parce qu'il détruit peu à peu en nous le passé survivant qui est en constante contradiction avec elle. »  Et j'ai encore envie de faire une citation, parce que ceci sera ma dernière chronique et je sens que ma bouche s'assèche déjà : « Bien sûr nous eûmes des orages, vingt ans d'amour c'est l'amour fol. Mille fois tu pris ton bagage, mille fois tu pris ton envol. Et chaque meuble se souvient dans cette chambre sans berceau, des éclats des vieilles tempêtes. Plus rien ne ressemblait à rien, tu avais perdu le goût de l'eau et moi celui de la conquête. » Dominique Uber, chère Catherine Deneuve du Sauvage et de Possession réunis, je vous aime. Anne Issermann, chère Virginia Woolf à l'ovale lumineux, je vous aime.  Alexandre Styker, mon Marilyn, mon Marcello, mon jeune faon diaphane, je vous aime.  Lorenzo de Angelis, mon cher nageur prodige, toi qui porte bien ton nom de famille, je vous aime.  Marlène Saldana, chère délicate et fine figure du réel, je vous aime. Philippe Gladieux, mon cher faiseur et défaiseur de lumières et de sons, je vous aime.  Simon Bourgade, mon cher « garçon naturel », je vous aime. Valérie Dréville, pour tout ce que j'ai déjà écrit et pour le reste, je vous aime. Yves-Noël Genod, mon cher chat blond, de gouttière et angora, qu'est-ce que je peux ajouter ? J'avais de grandes ambitions avec mes chroniques pour Vents Contraires, j'aurais voulu suivre le spectacle, en rendre compte de la manière la plus précise qui soit. Une sorte de spectacle littéraire dans le spectacle. Pas sur le spectacle mais dedans, exactement, sous le soleil. Je n'y suis pas arrivé. Il y aura eu 22 représentations, je n'ai fait que 11 chroniques. On ne suit pas à pied dans la vase un pur-sang lancé au galop. Au final il y aura eu autant de Je m'occupe de vous personnellement que de têtes et de mémoires de spectateurs. Ce que j'ai vu, je l'ai vu par le trou de ma serrure personnelle, tout petit point de vue, l'instant d'un regard. Mais un regard qui s'est dilaté à la mesure de toute la vie. Je vais moins vivre désormais. J'aurai moins de vie vécue. Dimanche soir, après la dernière, je me mettrai sérieusement dans mon second livre. Je suis prêt pour l'apnée. J'ai eu beaucoup d'oxygène ces temps-ci.

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