Monday, June 17, 2013

Coïncider



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Aprendo español


Premier cours d’espagnol : j’ai traduit « La mesa es redonda » par « La messe est dite » (la table est ronde). Le professeur argentin s’est foutu de ma gueule. Il m’a d’abord flatté en me demandant si j’écrivais. « Un poco. » Eh bien, que je devrais écrire parce que j’avais beaucoup d’imagination et que... c’était pas ça. Mais, c’est vrai, j’aime beaucoup deviner les mots. J’ai traduit « el coche » (la voiture) par « la mouche » (la mouche du coche). Etc. Mais ce sont de belles après-midis (« bonitas tardes »). En sortant, rue de Ponthieu, rue de Matignon, etc., la ville est colorée comme si je sortais du ciné. Ah, l’autre monde tant rêvé... il suffit de changer de langue. Mon Dieu ! faites que je progresse... Il y a parmi les participants au stage un acteur de cinéma. Il est tellement beau que souvent mon regard se perd à le contempler, le professeur le remarque. C’est quelqu’un qui n’a pas un regard pour personne sauf peut-être pour la jeune fille de l’accueil qui est venue dire un mot au milieu du cours. J’ai vu qu’il la regardait, perdu dans une béatitude, comme une fille en Italie (elle est tout ce qu’il y a du brin de fille à la parisienne, cheveux décolorés courts). L’acteur de cinéma a bien spécifié, quand il s’est présenté (après moi) qu’il ne faisait pas du tout de théâtre, non uniquement cinéma, télévision, pub. « La radio ? » a dit le professeur. Allez, un tout petit peu de la radio, je te l’accorde, mais surtout pas de théâtre. C’est triste qu’on n'ait que les laiderons, au théâtre, mais, en même temps, je le comprends. La beauté est une chose tellement invraisemblable... Je comprends que l’on passe sa vie et sa jeunesse, si on l’est (beau), à se faire filmer sous toutes les coutures, tous les angles sont beaux, c’est ça, le mystère : tout est image, tous les angles sont beaux, toutes les positions. C’est fascinant, irréel. Je ne reconnais plus personne en Harley-Davidson. Au déjeuner chez Jean-René et Serena, dimanche, il y avait quelqu’un (dont j’ai oublié le prénom, Bertrand ?) qui venait de réaliser un documentaire sur Brigitte Bardot. Comme il disait que son documentaire contenait des documents rares, je lui ai demandé s’il contenait le petit film porno que Brigitte Bardot avait fait avec Roger Vadim pour Marc Allégret quand elle avait 14 ou 15 ans. Non. (Evidemment.) Ensuite on a parlé d’Alain Delon qu’on aimait aussi. Tout le monde aimait les affiches qu’on voit en ce moment, Eau Sauvage, où j’avais reconnu son fils qui joue avec Nicolas et Kate, mais je n'en ai pas parlé (de son fils), j’avais déjà assez fait le malin avec le film porno de Bardot. De temps en temps, il faut se taire — et écouter (mais je suis à moitié sourd...) Je me suis quand même bien amusé avec Jacques Leibowitch qui est un type très rigolo (mais peut-être a-t-il fait l’histrion quand il a su que j’étais metteur en scène). Il se définit lui-même comme un « cabot » (en anglais : un « ham », un jambon) *. Il veut écrire une pièce sur le SIDA (à propos de son dada de réduire la médication). C’est vrai qu’il a dit des choses très belles sur les plis de la robe du virus du SIDA qui a une structure d’odeur... « Proustien », j’ai dit (sans beaucoup d’imagination...) Il a une mémoire phénoménale. Il a récité, au dessert, des pans entier de Julius Caesar by William Shakespeare. Dans King Lear, il devrait être très bon aussi. J'imagine une battle entre Michel Corvin et lui. (Je rajouterais mon père, tous les vieux fous...) Il m’a fait pisser de rire en racontant comment Gérard Depardieu l’avait fait cocu de Carole Bouquet. Au moment où c'est arrivé, il a écrit une pièce « pour survivre », une pièce-vengeance sur cette histoire qu’il veut m’envoyer. Elle s’appelle Starpity. Il y appelle Carole Bouquet d’un nom compliqué (à rallonge) dont je me souviens plus (avec « de la bouture » dedans) et Gérard Depardieu : « Idionysos », ce qui est très bien trouvé. Il appelle aussi Carole Bouquet, « Madame Abris-bus ». Ce qui me rappelle l'histoire de Yann (Andréa) dont je ne me souviens plus très bien. Yann avait dit  : « On est allé à Versailles et on a vu Carole Bouquet sur les abris-bus et, en rentrant, il y avait des réclames pour le jambon ». Qqch comme ça. Et Marguerite avait dit : « Où est le sens dans ce que vous dites ? » Dans ces déjeuners en ville — ce sont des choses que je n'avais pas fait depuis des années —, je suis étonné de remarquer comme les gens parlent vite. Du temps de Marguerite Duras où je rencontrais comme ça des personnalités (autour d'elle), je ne me souviens pas de cette vitesse. Ou alors c'est que je vieillis et que je deviens sourd, il faut que je fasse un réel effort pour suivre (mais ils sont plus vieux que moi...) Dominique Issermann est très, très rapide. Gérard Depardieu, quand je l'avais rencontré avec Jean-Paul Scarpitta était très, très rapide, pas le légume que je croyais qu'il était devenu (en le voyant à côté de Bernadette Chirac applaudir aux discours de Nicolas Sarkozy). 



* Dominique a raconté qu'à son mariage (donc avec Carole Bouquet), il s'était levé pour faire un discours qu'il avait commencé ainsi : « Moi aussi, j'aurais voulu être actrice... » Elle lui avait donné un coup de pied sous la table et il s'était tourné vers elle en disant : « Pourquoi tu me donnes un coup de pied ? » Dominique était très contre ce mariage parce que Carole venait d'avoir un bébé, etc. et aussi parce que « à l'époque, vivre avec Jacques, j'aurais pas tenu une demi-heure... » D'ailleurs, ça n'a pas tenu. Pauvre Jacques ! Il y a eu le divorce, etc. (les larmes, le palais de justice). Et le soir de la représentation aux Champs-Elysées de l'Histoire du soldat au profit de la recherche contre le SIDA, Carole Bouquet lui avait dit : « Tu vois, Jacques, maintenant, ça ne sera plus jamais comme avant » — alors que Gérard Depardieu l'avait appelé le matin de ce même jour pour lui dire : « On va te faire un truc génial, ce soir, tu vas voir ! etc. », pour finir par lâcher, à la fin du coup de fil : « Bon, tu vas voir, y a des photos dans « Voici », mais c'est pas grave. » Le soir du divorce, alors qu'il avait pleuré toutes ses larmes au tribunal, elle lui avait dit dans la rue : « Et ce soir, tu fais qqch ? » Il avait répondu en prenant son vélo : « Ce soir je reste chez moi et j'y reste seul» Il dit aussi (fanfaron) : « Je suis quand même le seul qui ait fait briller ce glaçon. » Il me trouve un nom pour remplacer Le Dispariteur : « Le Distille-acteur ». Puis : « Le Discrépant » qui est un vieux mot français plus commun en anglais : discordant, celui qui ne s'accorde pas, l'irréductible, celui qui est différent des autres, qui fait tâche. « Le théâtre discrépant (...) rompt avec le principe qui veut que le texte, le décor et le geste soient simultanés », je trouve dans le TLF. Il dit : « Il faut théâtraliser le monde ! » Il a l'idée du titre pour la pièce qu'il veut écrire (pour le Rond-Point) : Je ne sais pas pour vous, mais, nous, on n'est pas couché parce que, la veille, il est passé chez Ruquier. Dominique se souvient d'une pub : « Le jambon Ham est toujours celui qu'on réclame ! » Stéphane me dit que Jean-René peut réciter L'Ombilic des limbes.



«  Un ventre fin. Un ventre de poudre ténue et comme en image.
Au pied du ventre, une grenade éclatée. La grenade déploie une circulation floconneuse qui monte comme des langues de feu, un feu froid.
La circulation prend le ventre et le retourne. Mais le ventre ne tourne pas.
Ce sont des veines de sang vineux, de sang mêlé de safran et de soufre,
mais d’un soufre édulcoré d’eau.
Au-dessus du ventre sont visibles des seins. Et plus haut, et en profondeur,
mais sur un autre plan de l’esprit, un soleil brûle, mais de telle sorte que l’on pense que ce soit le sein qui brûle.
Et au pied de la grenade, un oiseau.
Le soleil a comme un regard. Mais un regard qui regarderait le soleil.
Le regard est un cône qui se renverse sur le soleil.
Et tout l’air est comme une musique figée, mais une vaste, profonde musique, bien maçonnée et secrète, et pleine de ramifications congelées.
Et tout cela, maçonné de colonnes, et d’une espèce de lavis d’architecte
qui rejoint le ventre avec la réalité.
La toile est creuse et stratifiée. La peinture est bien enfermée dans la toile.
Elle est comme un cercle fermé, une sorte d’abîme qui tourne,
et se dédouble par le milieu.
Elle est comme un esprit qui se voit et se creuse, elle est remalaxée et travaillée sans cesse par les mains crispées de l’esprit. Or l’esprit sème son phosphore.
L’esprit est sûr. Il a bien un pied dans le monde. La grenade, le ventre, les seins,
sont comme des preuves attestatoires de la réalité.
Il y a un oiseau mort, il y a des frondaisons de colonnes.
L’air est plein de coups de crayon, des coups de crayon comme des coups de couteau, comme des stries d’ongle magique. L’air est suffisamment retourné.
Et voici qu’il se dispose en cellules où pousse une graine d’irréalité.
Les cellules se casent chacune à sa place, en éventail.
Autour du ventre, en avant du soleil, au delà de l’oiseau, et autour de cette circulation d’eau soufrée.
Mais l’architecture est indifférente aux cellules, elle sustente et ne parle pas.
Chaque cellule porte un œuf où reluit quel germe ? Dans chaque cellule un œuf est né tout à coup. Il y a dans chacune un fourmillement inhumain mais limpide,
les stratifications d’un univers arrêté.
Chaque cellule porte bien son œuf et nous le propose ; mais il importe peu à l’œuf d’être choisi ou repoussé.
Toutes les cellules ne portent pas d’œuf. Dans quelques-unes naît une spire.
Et dans l’air une spire plus grosse pend, mais comme soufrée déjà ou encore de phosphore et enveloppée d’irréalité. Et cette spire a toute l’importance de la plus puissante pensée.
Le ventre évoque la chirurgie et la Morgue, le chantier, la place publique
et la table d’opération.
Le corps du ventre semble fait de granit, ou de marbre, ou de plâtre,
mais d’un plâtre durcifié.
Il y a une case pour une montagne. L’écume du ciel fait à la montagne un cerne translucide et frais. L’air autour de la montagne est sonore, pieux, légendaire, interdit.
L’accès de la montagne est interdit. La montagne a bien sa place dans l’âme.
Elle est l’horizon d’un quelque chose qui recule sans cesse.
Elle donne la sensation de l’horizon éternel. 
»

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L'Ecume de soi


Ah, mais vous êtes très agréable !
Si vous l'êtes comme ça, on essayera de faire qqch ! 
Parce que le spectacle tel que je l'imaginais (et aussi en regard des premiers lieux que j'avais trouvés, très « romantiques ») ne va sans doute pas se faire.
Hier, j'avais rendez-vous (à Paris) avec Jean-René de Fleurieu qui possède le château de Montfrin. J'espérais qu'il connaisse le même genre d'endroit (!) intra-muros, mais non. Ce qu'il propose, c'est que je loge chez lui et que je fasse venir le public en navette. Il propose même de conduire le bus, il a le permis poids lourds... Eh bien, pourquoi pas ? une fois ou 2, mais, enfin, ça n'a plus tout à fait le caractère léger et fantomal que j'imaginais. Ça devient grandiose, événementiel... Bon. Alors si, vous, vous me proposez la légèreté... sans doute moins de « romantisme » et plus d'« art de vivre » (c'est comme ça que j'imagine votre lieu), pourquoi pas non plus ? 
Je pense, si je continue à ne pas trouver ce que je cherche, que je vais improviser. Je vais descendre qq jours avant le festival et j'irai vous voir (bien sûr) et quelques autres adresses — ou peut-être même frapper aux portes, voilà ce que je vais faire. 
Vous n'avez pas une photo de votre atelier de peintre ? 

« L'écume de soi », c'est très, très beau (et c'était l'idée, en effet, plus poétique que théâtrale).

A bientôt, 

Yves-Noël

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