Friday, December 20, 2013

L e Rêveur


Gus Sauzay

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E n pensant à Sofie


« De là dans la poésie une sorte de monde à part. C’est le monde qui n’est pas et qui est. Niez donc la réalité de Caliban. Contestez donc l’existence du Petit Poucet. Tâchez donc, à moins que vous ne soyez Boileau en personne, le vrai Boileau, Nicolas, fils de Gilles, tâchez donc de ne pas vous intéresser à l’Homme sans Ombre. Dites à Titania : Tu n’es pas ! Si vous lui donnez ce soufflet, elle vous le rendra. Car c’est vous, bourgeois, qui n’êtes pas. Tout songeur a en lui ce monde imaginaire. Cette cime du rêve est sous le crâne de tout poëte comme la montagne sous le ciel. C’est un vague royaume plein du mouvement inexprimable de la chimère. Là on vit de la vie étrange de la nuée. Il y a dans tout de l’errant et du flottant. La forme dénouée ondule mêlée à l’idée. L’âme est presque chair, le corps est presque esprit. On pousse la réalité jusqu’à dire, le cas échéant, le mot de Cambronne, et l’on s’y appelle crûment Bottom. Un fantôme crie à l’autre : « Tais-toi, fils de putain ! » On échange les répliques d’Antonio et du Bosseman dans la Tempête. On est impalpable au point de fondre comme Ariel dans le parfum d’une fleur. C’est l’impossible qui se dresse et qui dit : présent. L’être commencé homme s’achève abstraction. Tout à l’heure il avait du sang dans les veines ; maintenant il a de la lumière, maintenant il a de la nuit, maintenant il se dissipe. Saisissez-le, essayez, il a rejoint le nuage. Du réel rongé et disparaissant sort un fantôme comme du tison une fumée.
Tel est ce monde, autant lunaire que terrestre, éclairé d’un crépuscule.
Quant à la quantité de comédie qui peut se mêler au rêve, qui ne l’a éprouvé ? on rit endormi. »

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2 triptyques













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C itation sur la misère


« Mais que perdrais-tu dans un inconnu qui n’a rien ?
— Tout le bonheur de ma vie. »

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P ar humilité


« Tout homme peut juger qu’il y a dans le prochain qqch de bon que lui-même n’a pas, ou qu’il y a en lui-même qqch de mauvais qui ne se trouve pas chez l’autre, ce qui lui permet de se mettre par humilité au-dessous du prochain. »

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P our Olivier malade


Olivier Normand
Mon cher, je suis cloué au lit par un genre de grippe (ou bien j'ai mangé hier un truc méchant qui me fait grelotter). Je serai bien allé au cinoche mais vraiment, chaque mouvement est une peine. Et je suis sans doute contagieux horriblement. Je t'embrasse, j'essaie de t'appeler dans le we.

— Oh, bébé... Chaque mot de toi est une lettre de Proust... (J'entends le son de ton grelot..)

— Le double tintement timide, ovale et doré de ma clochette de lépreux. ;-)

— Lol. Je voudrais être st Julien (celui des 3 contes de Flaubert...)



« Quand ils furent arrivés dans la cahute, Julien ferma la porte ; et il le vit siégeant sur l'escabeau. L'espèce de linceul qui le recouvrait était tombé jusqu'à ses hanches ; et ses épaules, sa poitrine, ses bras maigres disparaissaient sous des plaques de pustules écailleuses. Des rides énormes labouraient son front. Tel qu'un squelette, il avait un trou à la place du nez ; et ses lèvres bleuâtres dégageaient une haleine épaisse comme un brouillard, et nauséabonde.
— J'ai faim ! dit-il.
Julien lui donna ce qu'il possédait, un vieux quartier de lard et les croûtes d'un pain noir.
Quand il les eut dévorés, la table, l'écuelle et le manche du couteau portaient les mêmes taches que l'on voyait sur son corps.
Ensuite, il dit :
— J'ai soif !
Julien alla chercher sa cruche; et, comme il la prenait, il en sortit un arôme qui dilata son coeur et ses narines. C'était du vin; quelle trouvaille ! mais le Lépreux avança le bras, et d'un trait vida toute la cruche.
Puis il dit:
— J'ai froid !
Julien, avec sa chandelle, enflamma un paquet de fougères, au milieu de la cabane.
Le Lépreux vint s'y chauffer ; et, accroupi sur les talons, il tremblait de tous ses membres, s'affaiblissait ; ses yeux ne brillaient plus, ses ulcères coulaient, et d'une voix presque éteinte, il murmura:
— Ton lit !
Julien l'aida doucement à s'y traîner, et même étendit sur lui, pour le couvrir, la toile de son bateau.
Le Lépreux gémissait. Les coins de sa bouche découvraient ses dents, un râle accéléré lui secouait la poitrine, et son ventre, à chacune de ses aspirations, se creusait jusqu'aux vertèbres.
Puis il ferma les paupières.
— C'est comme de la glace dans mes os ! Viens près de moi !
Et Julien, écartant la toile, se coucha sur les feuilles mortes, près de lui, côte à côte.
Le Lépreux tourna la tête.
— Déshabille-toi, pour que j'aie la chaleur de ton corps !
Julien ôta ses vêtements ; puis, nu comme au jour de sa naissance, se replaça dans le lit ; et il sentait contre sa cuisse la peau du Lépreux, plus froide qu'un serpent et rude comme une lime.
Il tâchait de l'encourager ; et l'autre répondait, en haletant :
— Ah ! je vais mourir !... Rapproche-toi, réchauffe-moi. Pas avec les mains ! Non ! toute ta personne.
Julien s'étala dessus complètement, bouche contre bouche, poitrine sur poitrine.
Alors le Lépreux l'étreignit ; et ses yeux tout à coup prirent une clarté d'étoiles ; ses cheveux s'allongèrent comme les rais du soleil ; le souffle de ses narines avait la douceur des roses ; un nuage d'encens s'éleva du foyer, les flots chantaient. Cependant une abondance de délices, une joie surhumaine descendait comme une inondation dans l'âme de Julien pâmé ; et celui dont les bras le serraient toujours grandissait, grandissait, touchant de sa tête et de ses pieds les deux murs de la cabane. Le toit s'envola, le firmament se déployait ; — et Julien monta vers les espaces bleus, face à face avec Notre Seigneur Jésus, qui l'emportait dans le ciel. »

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François Chaignaud
Est-ce que ça vaut le coup les folies de Manfred ? (car le prix...)

@ François : oui, moi, j'ai trouvé ça surnaturel de beauté. Beauté brute. Un immense cadeau fait à Paris — mais c'est vrai que j'étais invité, assis à table avec Jean-Paul Gautier. Je n'ai pas touché au dîner ni aux boissons à cause de mon régime, mais, comme je l'ai dit, j'étais bouche bée et je n'en croyais pas mes yeux. S'il n'y avait pas ces prix extravagants (mais justifiés), j'y serais tous les soirs. Manfred Mugler disait (après) qu'il allait encore raccourcir de 10 mn et on le suppliait de n'en rien faire. J'aimerais apprendre mon métier auprès d'un type pareil !

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Photos Jocelyn Cottencin.

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