Saturday, April 19, 2014

G olgota

   
Ds le hall du Théâtre du Rond-Point, je regardais le « grand public » : pas en forme. Les gens baillaient, se mouchaient — les peaux jaunâtres, terreuses — avachis sur les maigres assises, les parcimonieux sofas mis à leur disposition. Ces gens venaient au théâtre. Ces gens consommaient du théâtre comme ils consommaient des médicaments, la mauvaise nourriture, les cadeaux, les vilains textiles, les matières cancérigènes, les produits de toilettes, les autos, les machines à laver, tout ce que vend la pub, les parfums, tout ce que vend la pub et les mamans aux enfants, les bombons, les politiques, les teintures pour les cheveux, les désodorisants. Mais dès qu’on pénètre ds la salle, l’atmosphère est changée. Une église — il paraît qu’il y a des odeurs d’encens, ce que, moi, je ne peux pas percevoir, mais il y a de la fumée, un rideau rouge, des bougies électriques et un nain déguisé en curé (Pierre Estorges, sublime), une rumeur aussi, un espace : l’imaginaire. Puissance et merveille. Si je m’arrêtais-là d’écrire ? Je sais déjà que le spectacle va être très bon et je voudrais en profiter. Allez-y, si vous avez les moyens de vous faire ce cadeau ! Le nain pervers s’approche d’un gros monsieur et lui demande une petite pièce à mettre dans le tronc des bougies. Vilain nain ! Alléluia ! noir total dans la grande salle du théâtre du Rond-Point pour Bartabas : vous croyiez qu’il n’y avait plus d’espoir ? Scène immense et miraculeuse… Indiquez-moi les choses inouïes à voir à Paris, invitez-moi à la campagne, les musiques sublimes, les peintures de rêve, les poésies des animaux, emmenez-moi au bordel… Un silence vrai dans cette salle du Rond-Point, un silence, un noir. On nous dit qqch. On n’est pas au spectacle, on est en pleine vie, en plein rêve. Jamais vu qqch d’aussi beau, à part, peut-être, 1er Avril, allez. Paradoxe qui n'en est pas un : avec les chevaux, c’est toujours répété et c’est toujours la première fois. Ils ont été obligés de créer une acoustique, il n’y en a pas, c’est donc très sonorisé, très réverbéré, c’est ce que je serai obligé de faire, moi aussi,  quand je reprendrai en décembre le spectacle créé à Avignon ds cette salle parfaite de La Condition des soies, mais je fais la fine bouche parce qu’on peut trouver de la beauté à cette illusion. J’avais mis mon téléphone en mode avion, d’ailleurs personne ne m’appelait plus.

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J e vais lire les poèmes au Japon


Photos Marc Domage. Simon Espalieu et Perle Palombe, lumière Philippe Gladieux, dans 1er Avril 

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G rüber pour les jeunes


(Jean-Pierre Thibaudat)
« Grüber, homme écorché, nous offrait le plaisir solaire et nocturne à la fois que seul le théâtre peut offrir lorsqu’il s’avance nu sur un plateau. « Calme ! » était un des mots qu’il aimait répéter aux acteurs qu’il dirigeait avec des mots rares, des énigmes poétiques.
Grüber était cet homme-là. Dénoué de tout faux-semblant, sincère, absolument sincère, violemment sincère. Une sincérité d’écorché vif. « Je suis d’une sincérité que je ne peux soutenir très longtemps », disait-il encore, signe que la conversation serait bientôt terminée. 
Quand il répétait La Mort de Danton au théâtre des Amandiers de Nanterre (1989), il lui arrivait d’écourter les répétitions, lorsque sa sincérité ayant donné tout son suc, il risquait de « jouer » au metteur en scène comme le font beaucoup. Les acteurs le vénéraient. »
« Grüber est le plus beau paradoxe que le théâtre ait jamais connu. Nul plus que lui ne voulut chasser le « Théâtre » du théâtre. C’est-à-dire l’hystérie, l’emphase, le paraître, le jeu du chat et de la souris entre un acteur et son personnage, l’épate, l’imagerie, le geste qui claque dans le vide, le théâtre qui fait la pute , qui racole, qui cherche à flatter l’audimat, le théâtre qui pue le compromis. Mais en même temps, Grüber exaltait la convention même du théâtre, ce lieu improbable entre le dedans et le dehors, ce lieu de tous les possibles : des paysans de Tchékhov aux visages peints comme des Indiens devant un public assis sur des chaises comme importées d’un village grec et le tout joué dans le quartier turc de Berlin ( » Sur la grand-route » ). »
« Son théâtre prit le théâtre à la source et à la gorge. Tout s’y tient dans la tension du présent, la densité de l’être-là. C’est un théâtre qui se fonde sur l’écoute. Tout en part, tout y revient. En miroir, il y a l’espace du regard, c’est-à-dire le corps de l’acteur, l’espace du plateau, lesquels disent le temps qui passe, la mort au travail. Entre ces pôles, le théâtre de Grüber déplie une électricité qui nous foudroie. Comme un verre qui se brise et dont la mélodie des éclats n’en finirait pas de se propager. »

J ankélévitch


Jean-Marie Patte (sur une carte postale)
Ce matin, merci encore.
Votre voix hier laissait passer la musique et la force de conviction de […] Jankélévitch. Le théâtre était très beau, intime dans le noir, noir idéal. Oui, rouges, des fleurs, bien ouvertes, déjà, les roses,
J.M.

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D 'autres mondes


A la librairie du théâtre, j'avais acheté Don Juan (raconté par lui-même) de Peter Handke, pourquoi ? Je ne connaissais pas ce livre, c'était une réédition (en Folio), mais mon père m'avait offert, le soir de la dernière de 1er Avril, une carte où était écrit : « Je me sens un cœur à aimer toute la terre » ; c'était une phrase du Dom Juan de Molière.



« Enfin, il n’est rien de si doux, que de triompher de la résistance d’une belle personne ; et j’ai sur ce sujet l’ambition des conquérants, qui volent perpétuellement de victoire en victoire, et ne peuvent se résoudre à borner leurs souhaits. Il n’est rien qui puisse arrêter l’impétuosité de mes désirs, je me sens un cœur à aimer toute la terre ; et comme Alexandre, je souhaiterais qu’il y eût d’autres mondes, pour y pouvoir étendre mes conquêtes amoureuses. »

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K epler-186f


« Une constante du fait humain, la poésie, aussi ancienne que la parole, et qui durera autant qu’elle. »

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L e Chant, éternellement, de la bouche d'ombre


Photos Marc Domage. Bertrand Dazin et Ana Pi, lumière Philippe Gladieux, dans 1er Avril 

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P eintre, pitre et poète


Lou Garion
Alors, voilà. A l'époque où Jeanne et moi étions les sœurs dingues en marge de la marge du cahier de l'école, elle m'avait fait le plus beau cadeau d'anniversaire qui soit. Plantée au milieu d'un vaste salon délabré, elle a chanté. Deux de mes amis ont commencé à se battre très fort et à casser des verres. Je pleurais.Le chant lyrique et le match de boxe. C'était mon anniversaire, c'était la vie, je crois...
Jeudi 10 avril, quelques années plus tard, Jeanne m'a dit de venir. Les sœurs dingues de la marge de la marge s'étaient perdues de vue, et toute cette vie d'avant hantait mon amnésie de fantômes sexy.
On vient dans le théâtre, on s'assoit. Une amie me demande ce que je suis en train d'écrire. Je lui dis Violette débarque sur scène elle y fait le ménage. Elle va dire : « Ah non, moi, c'est pas le spectacle ». Le noir se fait aux Bouffes du Nord. Après, l'histoire, tu la connais, j'entends le chant dans le brouillard, mon visage se transforme en rature salée, et Bertrand dit comme un petit orphelin privé de dessert ou comme un vieillard sage : « Il n'y a pas de spectacle... »
La valse commence et finit à la fois. Les voiles noirs côtoient les mariés, les missiles naissent et crient comme les bébés, les femmes rangent leurs belles hanches en catastrophe, avant d'avoir pu dire. Les bouches ouvertes aux ombres.
J'entends la guerre, (mais on ramasse quand même la chaussure), et je me sens traversée par plusieurs vies. Je pense : « Avant, j'étais une enfant noire ». Je sais pas comment tu as fait, peintre, pitre et poète, pour dresser un tableau sublime sans images, intense en surgissements, abolir les heures pour nous parler d'un autre temps, rond, brûlant et fécond comme le plafond.
Un jour, j'ai entendu dans un cours de danse flamenco « buscate la vida ». Je suis partie à Séville. Et, aussi, je dis souvent ce que j'aime voir, c'est quand il ne se passe rien. Sinon la vie, les phrases sont maladroites.
1er Avril, tout y est, matière et énergie. Je respire, ce théâtre et ses odeurs d'arnica qui sourit aux bleus et à toutes les douleurs.
Je pourrais continuer toute une vie à t'écrire ce mail, comme ton œuvre nourrit toute la mienne.  J'ai la sensation d'avoir espéré une forme impossible, une danse qui ne gesticule pas, un théâtre sans trop de mots, un langage de sons portant l'univers et ses âmes, une robe somptueuse aux coutures invisibles, une émotion bancale vibrant entre les mondes, l'amour. Je te dis ici bien peu de choses. C'est déjà trop, ces mots, c'est juste pour donner des contours au silence qui te rend grâce.
Pour ce nouveau mois d'avril, Jeanne, en me conviant, me fait un nouveau présent. Merci, Yves Noël, aujourd'hui c'est mon anniversaire, je célèbre. Crois-tu qu'en accouchant de moi, ma mère a poussé le cri du coq ? J'espère de tout cœur travailler un jour avec toi :-).
Bien à toi,
Lou

Merci de tes mots délicieux (et fabuleux) (et délicieusement fabuleux...) (ou fabuleusement délicieux), ce jeu des correspondances (encore une : Aujourd'hui, c'est mon anniversaire — mais tu dois le savoir —, c'est le titre d'un spectacle de Tadeusz Kantor). Il y a un stage, en septembre, à l'Hostellerie de Pontempeyrat (voir sur leur site), c'est tout ce que je peux te proposer… (Un autre aussi en préfiguration  à Bruxelles en février...)
Bon anniversaire, alors ! 
Bises,
Yvno



Catherine Sermet
Absolument superbe ! Mes pensées les plus amicales à Yves-Noël Genod



Patricia Soulier
Véritable enchantement !
Tout prenait merveilleusement place dans ce lieu magique des Bouffes du Nord, le texte, les lumières, les sons, les voix, la mise en scène…..
Sublime, poétique, décalé !
Bravo Yvno



Claire Denieul
Petites notes en vrac 
Après avoir vu votre performance, j'ai écrit dans mon FB en haut de l'article de Thibaudat que j'ai aussitôt partagé et qui m'avait fait venir aux Bouffes du Nord : « Alors, j'y suis allée.
Et je me suis dis, ce type (Genod) qui a le look Alice Cooper, a du beaucoup s'emmerder au théâtre pour pondre un truc aussi creux et impertinent, mais j'ai adoré et je n'ai jamais vu les Bouffes du Nord aussi bien éclairés. »
Suite que je n'ai pas publiée :
Rien, c'est un spectacle en négatif. Le texte, l'action, les personnages sont évacués au profit du reste. D'ailleurs, le tout commence par de la brume, c'est joliment métaphorique.
Le peu de choses qui se passent sur scène est juste là pour mieux faire percevoir ce qui s'en  dégage, pour qu'on s'imprègne de tout le reste. Le fond de scène apparaît comme une immense œuvre d'un rouge oscillant entre le carmin et le vermillon, un tableau aux dimensions gigantesques magnifiant les irrégularités du crépi.
Pas besoin d'aller dans les galeries d'art contemporain du Bourget, l'art est là depuis le début, tapi dans l'ombre. L'espace des Bouffes du Nord est lui-même en représentation et c'est superbe. Superbe et impertinent. La présence des acteurs dans leurs robes et costumes d'apparat scintillants oscille entre le romantique suranné et le dérisoire, un spectateur toujours le même se fend la gueule sporadiquement se retenant de rire ; du coup, il participe entièrement à l'action mourante du plateau et s'inscrit totalement dans la logique du spectacle, on aurait dû lui donner un cachet. Le très beau timbre de la soprano force l'émotion, les acteurs sont beaux surtout celui qui saute à la corde à poil. Le tout ressemble à une belle séance d'impro conduite par Lilo Baur. Et quand Genod surgit pour transmettre un texte de Cioran on se rend compte que tout de même l'adresse au public est irremplaçable, mais il fallait avoir vu tout le reste pour le comprendre. Les acteurs méritants remerciés à coups de fleurs, c'est le moins.
Bon, Yveno ne dites rien aux acteurs de ce que je vous ai écrit, ils pourraient mal le prendre. J'ai trouvé tout le monde formidable à travers cette absence totale de propos et cet esthétisme gratuit que j'ai paradoxalement beaucoup savouré.
MERCI
PS : En fait, c'est normal que vous fassiez ce genre de théâtre parce vous avez travaillé avec Régy, mais Régy, c'est Régy ; vous tout seul c'est courageux. 

J'ai relu plusieurs fois votre mail avant de décider qu'il était positif ! Donc : merci !!!
Au plaisir, 
Yves-Noël

Très positif ! Merci pour la belle photo !



Wagner Schwartz
QUAND LA BEAUTE RENCONTRE LE MOUVEMENT DE SA RECHERCHE
Paris, le 13 Avril, 2014
Hier, un 1er Avril se terminait. — Son temps fut court. Chacun peut en penser ce qu'il veut. Il s’est déroulé en un lieu unique, avec la possibilité de le vivre pendant deux heures et dix minutes. — Il est possible d’imaginer que ces choses existent. Dans ce cas, la chose était palpable. Il suffisait d’avoir le désir de reconnaître la joie d'un jour qui passe depuis des siècles.
De nombreux faits historiques se sont passés durant ce 1er Avril. Au Brésil, on l’appelle « le jour du mensonge ». Ailleurs, je ne sais pas encore. Au théâtre, il peut être reconnu, maintenant, comme un spectacle d’Yves-Noël Genod.
J'étais assis au premier rang d'un espace où chaque jour est unique. Il a un nom depuis 1896 : le Théâtre des Bouffes du Nord. Sa biographie est inscrite dans les objets qui le composent. Ceux-ci ont une vie qui simplifie la pensée de certains auteurs ; ou, peut-être, la font exister — puisque l'espace se dilue à l'extérieur.
Le temps de l'écriture n'est pas le temps de la rue. Chaque temps est. Les deux se croisent, mais ils ne se justifient pas (l’un l’autre?). Le temps de l'écriture est celui sans relation entre présent, passé et futur. Il arrive dans ces trois temps. Le temps de la rue a un début, un milieu et une fin — se lever, travailler, se coucher. Le temps de l’écriture perdure dans le ressenti de chacun de ces temps. Le temps de l'écriture repose, pour toujours.
En de rares moments dans le monde il est possible de vivre le temps du monde : démystifié, sans absences ni commandements pouvant conduire d’un état de perception singulier à un état influencé par l’activité des autres. À l’extérieur, le temps est pour ceux qui le peuvent ; à l’intérieur, il arrive.
Il était possible d’exister dans ce 1er Avril. Il était possible d’être au jour des choses : de l’intérieur, de l’extérieur, du temps. Les histoires de chacun — objets et personnes — à la façon dont elles vont, arrivent comme elles peuvent devenir, sans l’intervention opportuniste de ce qu’on appelle la « nature humaine ». Il est encore possible de parler des choses qui restent, parce qu'elles se déplacent.
La fête, à ce point, se confond avec les nouvelles affinités de ce jour qui se créé : affinités de passage, affinités inaperçues — désormais les miennes, parce que l'événement de ce jour continue.

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2 femmes


Photo Marc Domage. Fernanda Barth et Soleïma Arabi, lumière Philippe Gladieux, dans 1er Avril 

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L a Chance de l'addiction sexuelle


J’ai lu ton livre
Beaucoup de plaisir à t’imaginer l’écrire, ce livre un peu secret, beaucoup de plaisir à être en ta compagnie (je suis aussi retourné sur ton blog, dans la foulée). Si tu veux que je t’en dise plus, je dirais que j’aime l’écriture (n’est-ce pas l’essentiel ?), mais que, le thème, malheureusement, me laisse indifférent. J’aime les parties avec Emile, beaucoup, mais je ne sais pas ce qu’il y a à lire dans les parties sexuelles, c’est comme une autre planète, pour moi, et je ne vois pas de quoi, bon Dieu, il est question. Je me dis : il en a bien de la chance d’aimer baiser comme ça. Ce que je me suis toujours dit, d’ailleurs, quand je me suis trouvé témoin de scènes de sexe dans des clubs à cet effet, me suis toujours dit : ils en ont bien de la chance ! Bon, tant pis. Ça n’altère pas mes félicitations !