Sunday, July 13, 2014

F atigue adorable


S’échapper d’Avignon. J’ai plus de souvenirs que si j’avais 1000 ans. Je ne peux pas décrire ce que je vis à Avignon. Imaginez l’enfer, imaginez le paradis, imaginez cette chose inventée : le purgatoire (les 2 autres existent), eh bien, Avignon, c’est le champ clos, expérimental, de l’humaine condition ; nous sommes, quoi qu’il en soit, entourés par les remparts et nous sommes l’enfer, le paradis, le purgatoire. Hier, les spectacles du soir n’ont pas joué à cause de la « grève des intermittents » : techniciens et personnel des bureaux, les artistes ne votant — quand on leur demande leur avis — presque jamais pour la grève, évidemment, jouer est leur respiration, leur enfer, leur paradis, leur purgatoire, acceptent évidemment d’être solidaires des précaires et des intérimaires. C’est vrai, on est solidaire des précaires et des intérimaires et des pauvres et des modestes et des perdus et des exclus et des très pauvres et des infirmes et des bougnoules et des femmes, quand on est artiste — mais la grève est imposée par des imbéciles heureux pour qui la lutte des classes, comme jouer à la pétanque, est un sport de retraités. Depuis quelques années, jamais une grève n’a apporté quel que changement que ce soit, c’est jouer avec le patronat, c’est faire le jeu du patronat, c’est toujours le patronat qui gagne (le patronat gagne même sur le gouvernement). Non, il faut être absolument plus radical. Plus radical. Ne rien revendiquer. Ne rien fermer. Ne rien fermer. Ouvrir les portes. Aux exclus, aux bougnoules, aux clochards, aux jeunes illettrés, aux pauvres, aux voyous, aux Roms, aux très pauvres, à ceux qui ne vont jamais au théâtre et pour cause, c’est pas pour eux, ouvrir les temples de la culture, les prisons, les cours d’honneurs, les instances, les institutions, les appartements des institutions, là où il y a du pouvoir ou de la parodie de pouvoir, la politique culturelle, les salaires, les nantis, les commissioneurs, les commissaires, les inspecteurs, les applicateurs des règlements, les policiers, les ronds-de-cuir, les occupateurs des palais, des bureaux, les organisateurs et les légiféreurs, seulement, voilà, tout cela n’est pas « légal », tandis que la GREVE, c’est un « droit » — eh bien, si c’est un « droit », c’est que ça ne sert à rien, nigauds ! qu’à vous faire croire que vous n’êtes pas déjà morts, mais vous êtes déjà morts, vous êtes au purgatoire, en enfer et au paradis, enserrés dans le champ clos de la ville-prison, la ville-toupie, la ville éternellement ouverte et fermée à la beauté, avec ses places et ses pavés, ses circulations, son sang du poète, ses coulures, ses rêves et ses amalgames. Hier, donc, tout le monde était dans la rue, Inch Allah ! les restaurants étaient plein, les terrasses, le vent avait baissé, la température était agréable et les spectacles ne jouaient pas, donc on était dehors, on était en vacances, une belle soirée d’été, c’est aussi bien, le restaurant, les terrasses, les amis, les soirées, les rêves, de toute façon, le théâtre ? un souvenir, un prétexte, de toute façon, « ils » ne jouent pas, « ils » sont empêchés de jouer (…)

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9/12


Image Ronan Le Régent d'après l'œuvre de Bruno Perramant, Rigodon.

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D e nos envoyés spéciaux à Avignon


« Le Figaro », Festival d'Avignon : les pépites du Off
● Yves-Noël Genod : Rester vivant
Yves-Noël Genod est fidèle à sa réputation de dandy. Il accueille le spectateur en lui offrant une coupe de champagne et lui demande s'il souffre de claustrophobie. Délicate attention et étrange question qui trouvent leur sens une fois installé dans la salle de la Condition des soies. Les gradins sont presque pleins. Genod éteint les lumières ; on est plongé dans le noir. Une petite heure durant, Genod dit Les Fleurs du mal de Baudelaire. Il les dit sans emphase et superbement. Il ouvre avec L'Albatros, enchaîne avec Correspondances. Les mots nous parviennent à travers ce noir qui est un noir à la Soulages, plein d'aspérités, de reliefs et de reflets. Les professeurs de français qui veulent faire aimer Baudelaire à leurs élèves devraient tenter l'expérience. Et s'en méfier ; la morbidité sublime de Baudelaire ne laisse pas indifférent. Avant de conclure par Une charogne, Genod a niché quelques loupiotes dans le mur en pierre. Il a coiffé ses longs cheveux blonds d'un haut-de-forme qui lui donne une allure de croque-mort. Le même chapeau dans lequel le spectateur paye ce qu'il veut à la sortie. Ce spectacle préfigure celui annoncé en décembre prochain au Théâtre du Rond-Point à Paris. Mais on ne saurait trop conseiller de le voir à la Condition des soies, caveau idéal à ces Fleurs du mal.

À la Condition des soies, jusqu'au 27 juillet, à 19h. Entrée gratuite, sortie payante. Tél. : 04 32 74 16 49.

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