Monday, October 20, 2014

Bien sûr, l'époque s'accélère, il y a une accélération vers l'effondrement qu'on attend, qu'on espère même — on le guette... aujourd'hui ? demain ? la semaine prochaine ? — et puis peut-être qu'on a tort, qu'il ne se passe rien, que ce qu'il va se passer, imminent, ce ne sera rien. Parce qu'on pense ça en voyant la dernière à Paris de Passim, le  spectacle du Théâtre du Radeau. On se dit : C'est dingue qu'un théâtre pareil existe ! invraisemblable ! complètement à contre-courant — et l'on se dit : Et s'ils avaient raison, eux, de ne pas bouger, de rester fixes — et vivants — contre l'époque qui s'accélère — et meurt ? Pour moi, c'est invraisemblable. J'ai travaillé avec cette troupe, il me semble que c'était il y a 100 ans : je fréquentais Marguerite Duras, à l'époque, c'est dire ! Ceux qui étaient déjà des anciens sont maintenant des vieillards (l'un a été hospitalisé pendant les représentations de Gennevilliers), mais cela ne se voit pas sur le plateau, ils ont éternellement 35 ans. Ils jouent comme des marionnettes, mais des marionnettes conscientes, frémissantes, inconscientes, archaïques et étonnamment vivantes. Karine me dit que le spectacle Passim tourne moins. Cette désaffection, cette disgrâce, suffisent à discréditer toute la profession des programmateurs qui, eux, cherchent justement à galoper avec l'époque et ses malheurs et à y entraîner tout le public. Une seule solution : ne payez pas ! (Ça aussi, je le pensais pendant Passim). Le métier de spectateur est un métier, au moins ne payez plus jamais. On devrait payer le spectateur, si on était logique, mais au moins, vous, ne payez pas. C'est un trou qu'on vous demande de creuser, ne payez pas la pelle pour ça.



Nota bene :
J’avais écrit cette note dans le train. Et Gwenaël Morin à qui je la racontais s’est mis à m’expliquer ça : A Athènes, le théâtre, c’était pour tout le monde. Ça durait une semaine. Mais les commerçants et les artisans ont râlé : Vous êtes bien gentil avec votre truc, mais si j’arrête de travailler une semaine, moi, je ne gagne pas ma vie ! Alors on leur a dit : Combien ça vous rapporte votre semaine ? et on les a dédommagés pour qu’il puisse aller au « théâtre » (étymologiquement : « lieu d’où l’on regarde »). Gwenaël Morin pense comme moi qu’il ne faut pas faire payer le théâtre, mais on n’a pas vraiment le droit, alors, lui, il fait payer 5 €. Rien ne devrait coûter plus de 5 € dans ce monde. Il dit, ce que je pense, qu’il faut qu’il y ait des choses qui ne passent pas par le « marché » contrairement à ce qu’on essaye de nous faire croire (que le marché est notre seconde nature). Le théâtre peut être une de ces choses. Il y en a d’autres. Il faudrait qu’il y en ait beaucoup, beaucoup plus d’autres. Heureusement, nous allons être aidés par la terre qui va mettre à bas le système — bien sûr, ça va faire mal —, qui va décimer les populations (si la population continue d’augmenter, ça ne sert pas à grand chose de parler d’écologie) puisque l’homme ne peut pas de lui-même réguler son usure de sa présence sur terre...

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U n poème auquel j'ai fait allusion tout à l'heure


La Cifra
La amistad silenciosa de la luna
(cito mal a Virgilio) te acompaña
desde aquella perdida hoy en el tiempo
noche o atardecer en que tus vagos
ojos la descifraron para siempre
en un jardín o un patio que son polvo.
¿Para siempre? Yo sé que alguien, un día,
podrá decirte verdaderamente:
No volverás a ver la clara luna,
Has agotado ya la inalterable
suma de veces que te da el destino.
Inútil abrir todas las ventanas
del mundo. Es tarde. No darás con ella.
Vivimos descubriendo y olvidando
esa dulce costumbre de la noche.
Hay que mirarla bien. Puede ser la última.

Le Chiffre
L'amitié silencieuse de la lune
( je cite mal Virgile ) t'accompagne
depuis, cette nuit, aujourd'hui perdue
dans le temps, cette soirée où tes yeux
vagues l'ont déchiffrée pour toujours dans
un jardin, un patio qui sont poussière.
Pour toujours ? Je sais qu'une fois quelqu'un
pourra te dire en toute vérité :
Tu ne verras plus la lune claire.
Tu viens d'épuiser la somme des chances
que t'accorde le destin. Inutile
d'ouvrir toutes les fenêtres du monde.
Il est tard. Tu ne la trouveras plus.
Nous vivons découvrant et oubliant
cette douce coutume de la nuit.
Regarde. C'est peut-être la dernière.

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