Thursday, August 17, 2017

L e Secret d'Etienne


Mathieu Amalric m'envoyait un message succinct : « perdu », mais mon téléphone, pourtant contre ma cuisse, ne sonnait ni ne vibrait (Mathieu allait finir par se guider au son de la musique), mais peut-être ne ressentais-je aucune vibration parce que j'étais fasciné par Etienne Daho qui dépliait, à partir de sa relation avec Jeanne Moreau dans Le Condamné à mort, de Jean Genet, seul disque dont je pouvais lui parler, que j'avais trouvé magnifique, la manière intime dont il envisageait sa vie. « Je suis un obsédé sexuel », disait-il. Je le lui faisais répéter. Il expliquait que cela le mettait en branle, en mouvement, pour tout, le fait de « bander » (il insistait sur le mot comme Genet insistait), qu'il ne pouvait envisager la vie autrement, qu'il avait peur, dans certains moments d'angoisse, que cela lui soit retiré un jour. Alors plus rien n’aurait de sens. Jeanne était pareille, une séductrice, même après quatre-vingts ans, elle fonctionnait comme ça, elle n’existait que comme ça ou elle mourait. Il savait qu’elle était morte de ne plus travailler, des projets qui s'étaient défaits. C'est pareil, sexe, travail. Lui avait besoin de « vouloir », « avoir », « prendre ». Sylvie lui faisait remarquer que cette attitude était sans doute facilitée par la vie qu'il menait, mais il assurait que bien avant la célébrité, il était déjà comme ça. J'étais sûr qu'il disait la vérité : bien entendu qu'on est déjà ce qu’on est avant. Bien entendu que pour les gens très sexuels (lui, Jeanne Moreau, Marguerite Duras, Colby Keller…), toute la vie est depuis l'enfance plongée dans la tourmente sexuelle, la « sensualité », ce que l'on nomme aussi L’Amour (titre d'un livre de Marguerite Duras), que c’est le moteur, la libido, de tous les livres, de tous les films et toutes les chansons — cette chose que, moi, je n'avais jamais vraiment comprise, atteinte, cette chose qui faisait dire à Marguerite que la vie était « une sorte d'épiphénomène planétaire » et qu'il n'y avait « que l'amour qui peut vous donner le sentiment d'exister » (de mémoire) et qui avait fait Claude Régy me demander, un jour d’ennui en Charente-Maritime :  « Qu'est-ce que tu préfères, le sexe ou le travail ? », ce qui m'avait hautement choqué (j'étais si jeune) et m'avait fait répliquer : « Tout le reste ! ». Mais pour ces gens-là (Claude, Marguerite, Jeanne, Etienne...), ces « sensuels » (comme l’avait dit Duras à Régy : « Toi et moi, on est les mêmes, on est des sensuels », en lui mettant la main sur la cuisse dans sa voiture à l’arrêt un soir qu’il l’avait raccompagné), tout formait un tout et c'était simple. Par exemple, Sylvie inquiétait Etienne en lui disant — croyant abonder dans son sens — qu'elle-même faisait plus « confiance » à son « corps » qu'à sa « tête » et Etienne disait qu’il ne voyait pas bien ce qu'elle voulait dire, que, lui, il ne pouvait rien dissocier. Il se désignait « prédateur », qu'il aimait ça comme ça et que les autres (ses proies donc) ressentaient ça et aimaient ça, parce qu’au fond tout le monde aime être aimé. Je le voyais dans le mouvement même de la vie, l'écoulement, le déversement du désir, peut-être la fuite. J’avais hâte d’écouter ses chansons que je connaissais peu et tout d'un coup je le rêvai en Dom Juan (pour les Bouffes du Nord, please — y retournerai-je un jour ? mes orangers…) Je lui en fis la remarque, ce qui le laissa rêveur. Il était en Corse (et dans cette fête) avec Fañch, un conducteur de bus rencontré à Rennes (qui fait aussi de l'escalade et du surf pendant la semaine de libre qu'il a chaque mois) et ce chauffeur, même à Stéphane, sans doute le plus hétéro de notre bande passablement hétéro, nous paraissait à tous d’une exceptionnelle beauté, quelque chose d'inoubliable (peut-être un peu l'acteur qui joue dans Paterson et qui, lui-même, s'appelle Driver en plus de Adam.)

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